25.05.2020 - Médiatic

Comment sont choisis les films et séries diffusés par la RTS?

Alix Nicole ©RTS/Jay Louvion

Interview d’Alix Nicole, responsable de la programmation fiction à la RTS.

Alix Nicole fait depuis plus de 30 ans partie de l’équipe qui a la lourde tâche de faire le tri dans l’abondante offre sérielle et cinématographique afin de compléter la grille des programmes de la RTS. Une tâche qui exige des contacts privilégiés avec les distributeurs et une connaissance fine des goûts des téléspectateurs romands.

Quels sont vos critères lors de l’achat d’une production?

Alix Nicole: Le point de départ, c’est la grille établie par Luc Guillet, le responsable de la programmation TV. Une case, un créneau horaire, est attribuée à chacun des départements de la RTS – les magazines, le sport, etc. – dont le nôtre. Il ne faut pas oublier que le squelette, ce qui «fait» la RTS, ce sont ses productions maison comme Couleurs locales, Temps présent, etc. Notre rôle est de soutenir ce squelette.

Les séries et films qu’on choisit doivent être non clivants. Cela fait 30 ans que je regarde les audiences tous les matins donc j’ai acquis une certaine expertise pour faire ces choix. On remarque que l’appétence principale du public romand se porte sur les comédies, encore plus maintenant. On a envie de rire, de se détendre.

Dans ces choix, quelle est la marge pour votre appréciation personnelle?

Je pense que pour faire ce métier il faut être bon public. Pour ma part, j’aime autant les films d’art et d’essai à la David Lynch que les comédies à la Dany Boon. On a parfois des coups de cœur mais on ne les programme pas car on sait qu’ils ne marcheront pas. Il y a, chaque année, des objectifs et des exigences d’audience. Comme les films et fictions occupent une part importante de la grille, ça nous concerne beaucoup.

Parlons de la grille justement, comment est-elle pensée?

La case Box office du lundi soir porte bien son nom, ça doit être un film rassembleur. Le jeudi, la case Nocturne qui existe depuis très longtemps est destinée aux films récents mais plus de niche, de festivals. Plus globalement, on joue beaucoup sur les deux chaînes, RTS 1 et RTS 2, en essayant d’être complémentaire. Par exemple, le vendredi, la soirée sur RTS 1 commence avec Passe-moi les jumelles qui marche très bien mais un peu moins auprès des jeunes. Donc après cela on programme en général une fiction française assez légère. Et sur RTS 2 en revanche, on essaie de capter les jeunes en diffusant des films d’action ou de super-héros. L’idée est d’atteindre le plus large public entre les deux chaînes.

L’audiovisuel est marqué désormais par la présence de grands acteurs du streaming comme Netflix. Quel est l’impact sur votre travail ?

Ça change beaucoup de choses. Disney, par exemple, a bloqué l’achat d’un certain nombre de ses productions pour garder l’exclusivité sur sa plateforme de vidéo à la demande. C’est le cas pour tous ses dessins animés comme Le Roi Lion, La Reine des Neiges 2, etc. Donc certains catalogues sont amputés de certains programmes. On voulait également acheter The Crown, une production Sony pour Netflix, mais tant que la série est en production pour les saisons à venir c’est impossible.

Ces nouveaux acteurs nous «volent» aussi des téléspectateurs qui préfèrent faire leur programme à la carte. Mais ce n’est pas une fatalité. On perd parfois beaucoup de temps à choisir un film sur ces plateformes. Notre Unité a aussi ce rôle de sélectionner tel programme pour tel public. Je crois à la sérendipité, l’importance de se laisser surprendre, de regarder quelque chose qu’on n’aurait pas forcément choisi.


Parlons chiffres

«Le coût d’un programme dépend principalement du bassin de population auquel il se destine. La RTS paie donc beaucoup moins cher les films et séries que France Télévisions ou TF1», explique Isabell Hagemann Pouliquen, responsable de l’Unité des acquisitions. De même, les films et séries qui fonctionnent bien ne coûtent pas forcément plus chers.

Pour une série inédite et en prime time, il faut compter environ 100 francs la minute. Pour Box office, le coût moyen d’un film inédit d’un peu plus d’une heure s’élève à 26’000 francs. Un épisode de 90 minutes d’une production française comme Capitaine Marleau s’inscrit dans une fourchette entre 13’000 et 17’000. Quant à l’ensemble des séries internationales, telles La servante écarlate, Game of Thrones, leur coût varie entre 3500 et 6000 francs pour un épisode de 50 minutes.

Des montants qui demeurent bien inférieurs aux coûts des productions propres de la RTS. Un épisode d’environ une heure coûte à la production en moyenne 500’000 francs pour des séries comme Double Vie.

Texte: Propos recueillis par Vladimir Farine, paru dans le magazine Médiatic 211 (Mai/Juin 2020)