Le 10 mars 2025, à 12h45, le téléjournal pourtant prêt au direct ne démarre pas.
Une première pour la chaîne publique. Il s’avère très vite que la panne vient du CDD, dont la technologie vient d’être entièrement renouvelée. Pour Patrick Champion, ancien régisseur au calme olympien, le bug n’a rien d’une fatalité. Il le voit comme un révélateur d’un système encore jeune, en pleine transformation technologique. Entretien.
Depuis combien de temps travaillez-vous à la RTS ?
Cela fera 45 ans cette année ! J’ai d’abord été preneur de son pendant seize ans, puis régisseur depuis près de trente, dont sept en tant que chef de secteur adjoint au CDD. En gros, je veille désormais au bon fonctionnement du centre et à la coordination de toutes les tâches de diffusion.
C’est quoi, le « centre de diffusion » ?
C’est un peu la « régie finale » de la RTS. C’est là qu’on assemble toutes les pièces de la programmation sur RTS 1 et 2 et sur Play RTS : une émission, un film acheté, une publicité vendue… On les met bout à bout, un peu comme on enfile les perles d’un collier, pour créer un ensemble cohérent, fluide et sans accroc tout au long de la journée. Le CDD est indispensable : il est la dernière étape avant que le public ne reçoive le signal chez lui.
À quoi ressemble le quotidien d’un régisseur au CDD ? Y a-t-il une routine ou êtes-vous constamment sous pression ?
Il y a une certaine routine liée aux émissions récurrentes comme le 19h30 ou Couleurs locales. Les régisseurs connaissent leurs horaires, les contenus à préparer… Mais il y a toujours des imprévus : un match qui se prolonge, des changements de dernière minute, une émission spéciale. Et là, il faut se coordonner avec la rédaction, la publicité, le commentateur, tout en gérant la technique. C’est là que le stress peut monter.
Revenons à la panne du 12h45. Que s’est-il passé ce jour-là ?
C’était le cauchemar de tout régisseur : une émission capitale en direct, prête à l’antenne, mais techniquement impossible à diffuser. On voyait le journal, on l’entendait, tout semblait fonctionner… sauf que la machine ne répondait plus à la commande pour l’envoyer à l’antenne. Et on n’a pas pu la forcer manuellement.
Et pourquoi ?
C’est lié à la nouvelle technologie qu’on utilise désormais dans le centre. Avant, chaque signal passait par un câble bien défini. Aujourd’hui, tout transite par des flux informatiques unifiés, auxquels on s’abonne lorsqu’on en a besoin, juste avant la prise d’antenne. Or ce jour-là, la machine censée activer le flux est tombée en panne – et notre backup [système de secours, ndlr] n’était pas encore actif, car on venait à peine d’ouvrir le nouveau centre.
Comment avez-vous vécu ce moment ?
Avec sang-froid. On a tenté toutes les options, avec la maintenance et la technique, mais après dix minutes sans solution, on a dû appeler la direction des programmes. C’était comme un aveu d’impuissance. Heureusement, la rédaction d’Actu a été très compréhensive.
Qu’est-ce qui a changé après cette panne ?
Tout le monde a réagi très vite. Le lendemain, on avait un plan B et un plan C à suivre en cas de panne. Il a fallu s’adapter, former les équipes et repenser les plans de secours, en réfléchissant autrement.
Est-ce que les pannes sont plus fréquentes depuis le changement de technologie ?
Oui, il y en a plus pour le moment, mais elles sont le plus souvent invisibles à l’antenne. On doit utiliser des backups plusieurs fois par semaine : outils graphiques défaillants, flux corrompus, commandes qui ne répondent plus… Le public ne s’en rend pas compte, mais c’est notre quotidien. On continue à découvrir les subtilités de ces nouveaux systèmes informatiques, qui doivent encore être pleinement apprivoisés par nos équipes.
Comment votre métier a-t-il évolué ?
Il s’est rationalisé. Quand j’ai commencé, il fallait quatre personnes pour faire tourner une chaîne. Aujourd’hui, parfois, une seule suffit pour piloter tout le CDD. Et on alimente désormais plusieurs canaux de diffusion, notamment en ligne. Il a fallu s’adapter, proposer des solutions, inventer des façons de faire. C’est ce qui rend ce métier passionnant.
Et dans deux ans et demi, la retraite ?
Eh oui ! J’ai le sentiment d’avoir fait mon temps, mais je veux rester pleinement opérationnel jusqu’au bout. La mise en place de ce nouveau centre a été un beau défi – le dernier pour moi sans doute – et j’en suis fier.
Par Rémy Trummer
Paru dans le magazine Médiatic 231 (juin 2025)