L'analyse de Gilles Marchand, directeur de la RTS, sur la multiplication des écrans et les changements que cela induit pour les chaînes de TV généralistes.
Le Temps: Le téléspectateur romand dispose de plus en plus de chaînes. L'audience va-t-elle se disperser totalement?
Gilles Marchand: Dans toute l'Europe, on observe un effritement des grandes chaînes généralistes. Il est provoqué par le transfert vers la distribution web, mobile et à la carte, par l'apparition d'une multitude de petites chaînes thématiques ou régionales, ainsi que par la croissance de la distribution numérique. Ces tendances lourdes vont s'accélérer avec l'arrivée de la TV connectée: la TV classique et le Web réunis sur le même écran familial. Tout cela vaut pour la TSR comme pour SF, TF1 ou France Télévisions. Pourtant, le public continue à suivre massivement nos programmes. Mais il ne le fait plus uniquement par la distribution linéaire historique.
Pour l'heure, la TSR domine toujours son marché, cette situation est-elle bientôt révolue?
Sans faire d'effet de manche, si la TSR résiste assez bien, c'est parce que nous avons développé notre distribution sur tous les écrans, dès 2001, six à sept ans avant toutes les grandes chaînes généralistes. Plus de 150 000 vidéos sont jouées tous les jours sur tsr.ch. Quand nous pourrons enfin cumuler les audiences, nous constaterons que la TSR aura gardé, même développé, son audience auprès des jeunes.
Les TV ciblent toujours davantage leurs programmes. En fait, la TSR devrait-elle créer de nouvelles chaînes?
C'est une stratégie adoptée par plusieurs télévisions généralistes. France Télévisions se développe sur six chaînes La RTBF vient de lancer une nouvelle chaîne thématique. Mais l'environnement politique et économique suisse ne me semble pas propice à cette stratégie. Raison pour laquelle nous considérons le Web comme notre troisième écran. Et cette approche prendra tout son sens lorsque la télévision connectée se développera. C'est pour cette raison que la question de la présence de publicité sur ces distributions interactives [contestée par les éditeurs, ndlr] fait l'objet de telles tensions. L'enjeu n'est pas immédiat, c'est le futur du modèle de financement mixte de la télévision qui se pose.
La production identitaire de la TSR représente une minorité de votre grille face aux séries américaines, films etc. Que devient le service public?
La TSR fabrique à peu près 40% de ce qu'elle diffuse, en première ou deuxième diffusion. Les chaînes françaises, même de service public, ne produisent elles-mêmes presque rien mis à part l'info; elles achètent émissions et fictions. La TSR produit la plupart de ses émissions. Si nous achetons des fictions étrangères, c'est aussi pour des raisons économiques. Une série américaine nous coûte environ 100 francs la minute; une fiction suisse, produite ici, environ 7000 à 8000 francs la minute. Nous n'avons, hélas, pas les moyens d'assurer plus de productions suisses. Toutefois, je suis favorable au développement de coproductions avec des sociétés indépendantes suisses. Et le service public se définit aussi par les choix de programmation. Avec de l'information et des magazines presque tous les jours à 20h, une belle offre sportive suisse et d'intéressants projets de fictions romandes, je ne crois pas que notre dimension de service public soit mise en cause ou en danger.
Propos recueillis par Nicolas Dufour
Le Temps du 14 juin 2006