10.10.2022 - Médiatic

Portrait-métier: Joëlle Aerni, camérawoman de reportage

L’image au service du récit: plongée dans le quotidien des camérawomans et caméramans

Formée à l’école de photo à Vevey, Joëlle Aerni a d’abord exercé sa fibre créative armée d’un appareil argentique. Arrivée à la RTS en 2018, elle lève pour nous le voile sur le métier de caméraman·woman.

Rouage essentiel de l’audiovisuel, la captation vidéo à la RTS est divisée en deux équipes distinctes : live (studio, sport, plateau) et reportage (les magazines comme PAJU, Mise au Point, A bon entendeur, Temps présent, 36.9, etc.). Joëlle Aerni travaille pour les reportages et nous raconte les contours de son métier.

Comment s’organise votre travail?

Les caméraman et camérawoman de reportage reçoivent leur planning toutes les deux semaines. La durée des tournages est fixe : neuf jours pour un reportage de 26 minutes et 12 jours pour un reportage de 52 minutes. Tout doit être tourné dans ce laps de temps.

Neuf et douze jours, c’est assez?

Quand l’endroit est fixe c’est assez confortable mais s’il faut se déplacer, avec les heures de route, c’est parfois un peu serré. Le terrain joue aussi un rôle. Pour un reportage en montagne, si une marche dure 4 heures, il faut compter 8 heures de tournage environ. Avec l’équipe on arrive également en avance pour échanger avec les gens qu’on va filmer. C’est important d’avoir le temps de se rencontrer, d’expliquer tout ce qui va se passer pour que tout le monde soit à l’aise. On installe aussi le matériel petit à petit pour qu’ils puissent voir ce que ça représente.

De combien de personnes se compose une équipe de tournage ? Trois ou quatre personnes pour un reportage magazine, parfois deux pour un sujet court de téléjournal. Une équipe de quatre c’est un·e réalisateur·trice, un·e journaliste, un·e preneur·euse de son et un·e caméraman·woman.

C’est donc un vrai travail de collaboration …

Complètement ! Et il faut savoir que les équipes de tournage changent tout le temps selon les plannings. En 10 ans, il y a des gens qui n’ont travaillé qu’une fois ensemble. Il y a aussi une vraie relation de confiance puisque les réalisateur·trices n’ont pas forcément visionné tout ce qu’on a filmé avant la fin du reportage.

Quel est votre rapport à la caméra?

La caméra est vraiment le prolongement de mes yeux, je l’oublie. Je sais qu’en appuyant sur tel bouton, en faisant telle manipulation, j’aurai une image nette, bien cadrée. Les gestes deviennent des réflexes. Cette aisance me permet aussi d’être plus attentive aux gens, de les filmer « sur le vif » sans les déranger. En reportage on ne peut pas refaire plein de fois une prise, il faut vite se mettre en place et il y a toujours des imprévus à gérer.

Pas de mise en scène donc?

Le moins possible, mais cela varie selon le, la réalisateur·trice et le magazine. PAJU par exemple est une émission « autoportée », elle n’intègre pas de commentaires, de voix off, ce sont les interviews qui créent le contenu. Bien sûr, on ne pourrait pas avoir un plan fixe d’une personne qui parle pendant 26 ou 52 minutes. Donc les propos sont agrémentés de séquences filmées. Si la personne nous explique qu’elle adore promener son chien on va vouloir l’illustrer. Pour avoir une belle image, je peux choisir un panorama vers chez elle, lui demander de marcher dans tel sens. C’est une mise en scène mais qui raconte quelque chose de vrai.

Est-ce un métier encore majoritairement masculin?

Il y a environ un tiers de femmes dans les équipes à la RTS. Il arrive qu’en tournage des personnes soient surprises de voir une femme derrière la caméra. Elles s’imaginent plutôt un homme baraqué avec un gilet plein de poches et habillé tout en noir (rire). Mais le résultat final ne diffère pas forcément, il n’est pas lié au genre.

Est-ce que chaque caméraman, camérawoman, a toutefois son propre style?

En tout cas, entre collègues, en visionnant un reportage on arrive souvent à deviner qui l’a filmé. Pour ma part, j’aime particulièrement les plans larges, fixes, être en retrait et laisser les gens vivre dans le cadre. Je trouve qu’au rendu final cela permet une plus grande proximité entre la personne qui est filmée et celle qui regarde. Mais on est aussi formé à une certaine manière de filmer, pour que tous les reportages diffusés par la RTS soient cohérents visuellement.

Pouvez-vous nous en dire plus?

Ce sont surtout des règles. On est formé à donner une gamme d’images précises pour le montage avec différents plans. Une fois cette gamme respectée, on ajoute toute la créativité possible. Mais le contenu prime quand même, l’image doit toujours raconter quelque chose dans son contenu.

Propos recueillis par: Vladimir Farine. Paru dans le magazine Médiatic 223 (Octobre/Novembre 2022)