30.05.2011 -

Roger de Weck s’inquiète des attaques virulentes contre la SSR

"La redevance est un bon investissement pour la cohésion nationale"
«LA MODE DU GRATUIT RATTRAPE LA SSR»
 
Le Fribourgeois Roger de Weck s’inquiète des attaques virulentes contre la SSR, qu’il dirige depuis 5 mois. Selon lui, les 462 francs de la redevance radio/TV sont un bon investissement pour la cohésion de la Suisse.
Propos recueillis par Louis Ruffieux et Serge Gumy dans la Liberté du 30 mai 2011.

Quand certains aspirent aux étages supérieurs, lui se réjouit d’en redescendre quelques-uns. Le Fribourgeois Roger de Weck, directeur général de la SSR depuis le 1er janvier, quittera prochainement son bureau de ministre au 14e étage du siège bernois, malgré son extraordinaire vue panoramique, pour un espace plus petit, mais plus proche de son équipe. Pour «La Liberté», le capitaine du navire amiral SSR parle de ses cinq premiers mois au gouvernail et des défis qui attendent les médias du service public.

«La Liberté»: Une pétition munie de 143 000 signatures demande que la redevance radio/TV soit abaissée de 462 à 200 francs. Comment interprétez-vous ce mouvement contre la SSR?

Roger de Weck: Ce qui me travaille le plus, c’est que la jeune génération a grandi, en Suisse alémanique tout particulièrement, dans la culture du gratuit. Elle a oublié que le bon journalisme coûte de l’argent, et que la qualité a son prix. Ce phénomène du gratuit, qui est un problème pour les journaux, est en train de rattraper la SSR.

Et si c’était le signe que pour une partie de son public, la SSR était devenue chère, voire trop chère?

La redevance coûte 462 francs par an. S’il s’agissait de faire des programmes compétitifs au niveau international en une seule langue au lieu de quatre, 260 francs suffiraient. Ensuite, quelque 50 francs vont aux télévisions et radios privées. Et le reste, soit à peu près 160 francs, est une contribution à la solidarité confédérale pour que les Romands et la Suisse italienne aient des programmes équivalents à ceux des Alémaniques, et pour que les Romanches aient un programme minimal.

Or, le secret de la stabilité de la Suisse, c’est qu’elle n’a jamais prétérité les minorités. La SSR est l’une des institutions qui contribuent à cet équilibre entre les régions linguistiques, et cela coûte 160 francs par an. Je pense que c’est un bon investissement pour notre pays. Offrir des programmes équivalents aux trois grandes régions linguistiques, à mes yeux, est plus qu’une obligation légale, c’est ma conviction personnelle de Fribourgeois.

Au-delà de la redevance, le débat porte sur la définition du service public. Quelle est la vôtre?

J’y vois quatre dimensions. La première, c’est la cohésion nationale. La SSR est la place du village suisse, par exemple par le biais du sport, qui permet aux Suisses de se réjouir ensemble ou, si l’on regarde les récents résultats de notre équipe nationale de football, pour être tristes ensemble.

Deuxième élément: la qualité populaire. Nous assistons, dans les médias qui s’adressent au plus large public, à une tendance à la «boulevardisation». On ne retient plus que ce qui est intéressant, on se désintéresse de ce qui est important. Le service public doit tenir compte de ce qui est intéressant, bien entendu, mais aussi de ce qui est important, et le rendre intéressant pour garantir la qualité du débat démocratique.

Troisième élément: le soutien à la culture, à commencer par le cinéma suisse. Ces 14 dernières années, la SSR a ainsi versé 276 millions pour la production de films suisses.

Enfin, si en France, en Italie, en Allemagne, la part de marché des grandes chaînes de TV étrangères est infime, en Suisse, au contraire, elle est de 70%. Et nous devons nous battre pour défendre nos 30%. Les petits pays comme le nôtre, soumis à une énorme concurrence étrangère, ne pourraient maintenir une grande chaîne de télévision nationale sans financement public.

Ce service public exige-t-il 7 chaînes TV et 18 stations radio?

Vous ne pouvez pas faire aujourd’hui un programme de télévision compétitif sur une seule chaîne, ne serait-ce que pour avoir un minimum d’offre sportive. Ajoutez-y une chaîne alémanique d’information, et nous sommes à 7 chaînes TV. Les radios, elles, se déclinent par classes d’âge. Pour atteindre les 3 classes d’âge dans les 3 régions, ça vous fait 9 chaînes, plus une chaîne culturelle par région, ça en fait 12, plus les Romanches et les petites chaînes digitales qui coûtent très peu d’argent, et on arrive à 18.

Option Musique et Couleur 3 font-elles vraiment partie de votre mission de service public?

Malgré le passage au numérique, Option Musique a gardé un très large public. C’est donc qu’elle répond à un besoin. Nous travaillerons cette année à une stratégie de l’offre, mais l’idée selon laquelle tout ce qui peut être fait par une station commerciale ne devrait pas être fait par la SSR conduirait inéluctablement à sa marginalisation.

Cette réflexion sur l’offre n’est-elle pas nécessaire pour permettre à la SSR de retrouver des comptes bénéficiaires?

Une stratégie de l’offre n’est pas un programme d’économies. Une émission s’impose au public au fil des ans, une chaîne à plus forte raison. Donc, il ne peut pas y avoir de décisions à la va-vite quand il y a des investissements d’aussi longue haleine. Reste que nous renouerons avec les chiffres noirs en 2011, à moins d’une crise, avec la volonté de dégager une marge de manœuvre financière et entrepreneuriale pour effectuer les investissements importants qui nous attendent (passage à la TV haute définition, à la radio numérique, p. ex.).

UNE MAIN TENDUE A LA PRESSE ECRITE

La SSR revendique de pouvoir faire de la publicité sur ses sites internet. Pour ce faire, elle aura besoin de l’accord des éditeurs de journaux, qui restent fermement opposés à l’idée. Espérez-vous encore aboutir?

Roger de Weck: Bien sûr. Il y a un intérêt objectif à nous retrouver. Dans cette affaire, j’observe un malentendu: nous ne demandons pas plus de moyens, mais nous essayons de faire plus avec les moyens dont nous disposons. Or, nous perdons des téléspectateurs là où nous avons le droit de faire de la publicité (à la TV), tandis que toujours plus de téléspectateurs suivent nos émissions sur internet, où nous n’avons pas le droit d’en faire.

A court terme, pas de problème. La SSR a d’ailleurs connu en 2010 une année record en termes de recettes publicitaires. Mais à long terme, quand on voit que le marché publicitaire, de façon lente mais inexorable, va se déplacer sur internet, il s’agit de savoir si la Suisse veut doucement changer de système et de ne financer son service public plus que par la redevance, ou si elle veut continuer à financer des programmes en quatre langues en partie grâce à des apports commerciaux.

Vous pourriez donc vous accommoder d’un système qui déplace sur le net, sans pour autant les agrandir, une partie des recettes publicitaires auxquelles la SSR a droit sur ses chaînes TV?

Pourquoi pas? N’oubliez pas que, autant nous sommes perçus comme le géant en Suisse, autant nous avons affaire à des concurrents qui, pour nous, sont des géants. France 2 a, pour un programme TV en une seule langue, un budget supérieur à celui de toute la SSR. Voilà le rapport de forces. Nous savons ce que signifie d’être petits face à nos concurrents étrangers, nous nous sentons donc le devoir d’être fair-play vis-à-vis des plus petits acteurs sur le marché suisse. Mais l’idée qu’un affaiblissement des médias du service public renforcerait la presse privée est une illusion. Prenez les Etats-Unis, où le service public est marginal: les journaux américains se portent bien plus mal que les journaux suisses.

Cela dit, vos sites internet proposent de l’image et du son, ce qui présente un avantage concurrentiel considérable!

Eh bien, nous sommes prêts à partager l’image et le son. En Suisse, il n’y a qu’une chose qui compte, ce sont les bons compromis helvétiques!

Depuis votre entrée en fonction, le 1er janvier dernier, sous sentez-vous soumis à une forte pression politique?

Ce n’est pas un sujet de préoccupation pour moi. Par contre, la défense des institutions m’importe. Or, on se met à dénigrer toutes les institutions helvétiques: le Conseil fédéral, ce sont les sept nains; le Conseil des Etats, c’est la chambre obscure; le Tribunal fédéral est en butte à des attaques inouïes. Et depuis quelque temps, la Banque nationale puis la SSR sont à leur tour mises en cause.

L’UDC se cache derrière toutes les attaques contre les institutions que vous citez. Etes-vous engagé contre elle dans un combat politique et personnel?

Je ne m’exprime jamais sur la politique partisane, mais je crois que la défense des institutions doit importer à tous les citoyens suisses. Il se trouve que la SSR m’a élu à sa tête, et je suis là pour défendre son indépendance et celle de ses journalistes contre contre ceux, d’où qu’ils viennent, qui voudraient s’assurer plus d’influence sur les institutions.

Le journaliste que vous êtes n’est-il pas frustré?

Pas une seconde! Tout ce qui travaille la société suisse se reflète d’une manière ou d’une autre à la SSR. De contribuer au succès de cette Suisse en miniature pour qu’elle contribue elle-même au succès de la Suisse, la vraie, il n’y a rien de mieux. lr/sg