02.07.2024 - Médiatic

Sports et médias : des liens étroits au service des publics

Captation du Tour de Romandie par la RTS RTS © Laurent Bleuze

« Tu as regardé le match hier ? », une phrase que vous avez peut-être déjà entendue à la machine à café. Que cela soit à la télévision, sur son ordinateur ou à la radio, toute personne a son moyen préféré de consommer le sport via les médias. Les liens entre le sport et les médias de service public sont très étroits, profitant mutuellement de la notoriété de l’autre. Les médias informent la population sur l’actualité sportive et le sport permet de renforcer le lien social. Tous deux sont ainsi indispensables à la création d’une Suisse diverse mais unifiée.

La pratique du sport était certes déjà présente en Grèce antique, mais le sport moderne apparaît véritablement avec la révolution industrielle au XVIIIe siècle en Angleterre. Le pays se développe, devient plus riche et productif, permettant à la population d’avoir davantage de temps libre. Michel Desbordes, professeur de marketing du sport à l’Université Paris-Saclay et à l’Université de Lausanne (UNIL), explique que le développement du sport est intrinsèquement lié à la richesse d’une population et au temps libre dont elle dispose.

Si la pratique du sport a d’abord été cantonnée au cercle privé, les médias se sont rapidement emparés du phénomène pour lui offrir une couverture plus étendue et susciter l’intérêt de la population. Certains médias sont allés plus loin en créant eux-mêmes des compétitions. C’est notamment le cas du journal français L’Auto, ancêtre de L’Equipe, qui crée en 1903 le Tour de France : « il ne se passait pas grand-chose au mois de juillet en termes de sport, ils ont alors créé un événement pour avoir leur propre contenu », explique Michel Desbordes, avant d’ajouter : « le journal était imprimé sur du papier jaune, ils ont donc créé le maillot jaune ». De même, la Gazzetta dello Sport crée en 1909 le Giro d’Italie avec un maillot rose rappelant la couleur du papier du quotidien. Le phénomène s’observe aussi à une époque plus récente avec les X Games créés par la chaîne de télévision américaine ESPN.

Les médias ont permis la création de grandes compétitions sportives, mais ils favorisent également la médiatisation à grande échelle des sports et leur popularité auprès des publics.

La médiatisation du sport

Le sport le plus médiatisé et le plus diffusé dans le monde est indéniablement le football. Certaines particularités persistent en fonction des pays, comme le football américain aux Etats-Unis, le cricket en Inde ou le baseball en Corée du Sud, mais globalement le football est le sport qui génère les plus grosses audiences, comme les plus grosses recettes financières. Michel Desbordes explique que ce sport est populaire « parce qu’il a des caractéristiques intrinsèques qui sont extrêmement intéressantes : c’est simple, universel, pas cher et accessible à tout le monde ». La demande des publics envers le football est donc forte et les audiences hautes. Ainsi, la médiatisation d’un sport se base sur des éléments différents en fonction des médias. Pour les médias gratuits, les audiences potentielles que le sport peut générer sont particulièrement importantes. À l’inverse, Michel Desbordes explique que les médias payants ne raisonnent pas en termes d’audiences, mais en fonction des abonnements qu’ils peuvent vendre, peu importe si les audiences ensuite sont bonnes.

Le troisième cas concerne les médias de service public qui doivent assurer leur mandat tout en répondant aux demandes du public et aux contraintes budgétaires. Massimo Lorenzi, rédacteur en chef des Sports à la RTS, confirme la popularité du football en Suisse et indique que les autres sports les plus suivis sont le ski, le cyclisme, l’athlétisme, la formule 1 et le tennis. Il explique que, outre les sports populaires, la SSR doit répondre à son mandat de service public, diffusant ainsi les sports et compétitions selon trois axes : tout d’abord, le but est de suivre les athlètes suisses qui performent dans des compétitions internationales. Massimo Lorenzi donne l’exemple de la Coupe de l’America qui sera diffusée en septembre grâce à la participation d’Alinghi. Le deuxième axe sont les événements d’envergure et d’intérêt pour le grand public, comme les Jeux Olympiques ou l’Euro masculin de football cet été. Enfin, le coeur du mandat de service public est la diffusion d’événements sportifs qui ont lieu à l’intérieur de la Suisse, tous sports confondus. Le service public offre ainsi une diversité importante de sports sur ses canaux.

Forces et limites du service public

Massimo Lorenzi indique que le sport en Europe s’est construit à travers le service public. Michel Desbordes ajoute que les services publics sont généralement les chaînes de l’olympisme et des grands rendez-vous sportifs. Ce dernier précise : « la force du service public est de ne pas uniquement avoir besoin de réaliser de bonnes audiences et d’être dans une logique marchande ». Il permet en effet d’offrir une exposition importante à tous les sports, qu’ils soient populaires ou de niche. Massimo Lorenzi souligne également que la force de la SSR est le professionnalisme qu’elle apporte dans l’accompagnement d’événements sportifs. D’une part, il y a le savoir-faire important de la SSR en termes de captation et de production des compétitions sportives, d’autre part, l’expertise de ses journalistes permet d’apporter une analyse nécessaire et fiable à l’événement. Le rédacteur en chef des Sports explique que pour les Jeux Olympiques de Paris, plus de 30 personnes de tous métiers seront dépêchées sur place pour couvrir l’événement. Il nuance toutefois que cela est peu par rapport à la centaine de personnes des télévisions allemandes ou italiennes. La SSR doit ainsi composer avec son budget limité tout en proposant du contenu de qualité : « plusieurs dizaines de personnes vont travailler tout l’été d’arrache-pied pour couvrir des événements d’envergure mondiale, alors que nous n’avons pas de moyens et de rédaction d’envergure mondiale ».

La limite principale du service public face au sport est ainsi le budget. « La SSR n’a pas les moyens de régater contre les grands groupes privés qui ont des moyens pharaoniques » explique Massimo Lorenzi. La redevance ou autres financements publics ne permettent pas de financer certains sports ou compétitions, ce que confirme le professeur Michel Desbordes : « il est très rare aujourd’hui en Europe que des chaînes publiques puissent se payer le football. Par exemple, la Champions League a été privatisée à peu près partout ».

D’autre part, le fait de couvrir les sports au pluriel est certes la force du service public, mais elle peut constituer un inconvénient face aux grands groupes privés, qui s’intéressent à un ou deux sports. Le professeur Michel Desbordes explique en effet que le temps d’antenne disponible du service public est limité, devant proposer au public d’autres programmes d’information et de divertissement. Les chaînes privées sont quant à elles généralement dédiées exclusivement à un seul sport.

La réception du sport par le public

En termes d’audience, Massimo Lorenzi explique que la RTS souhaite s’adresser à des publics différents. Le grand public, qui ne connait pas nécessairement tous les sports et leurs rouages mais qui s’intéressent aux événements d’envergure. La RTS ne perd toutefois jamais de vue le public de spécialistes qui connait très bien les sports et vient rechercher l’expertise du média. De cette manière, la RTS peut répondre parfaitement à son mandat de service public en fournissant du contenu sportif de qualité s’adressant à tout le monde.

Le professeur Michel Desbordes indique que « le sport a cette vertu de lien social et un effet rassembleur incontestable ». Il donne l’exemple des fan zones où les personnes se rassemblent pour regarder un match, ou d’amis qui se réunissent autour d’un barbecue. Le sport est ainsi un moyen de se retrouver socialement dans une société où les polarités et les oppositions peuvent être importantes, remplaçant parfois les anciens lieux de rencontre. Ce lien est d’autant plus important dans un pays tel que la Suisse qui compte diverses cultures, langues et régions. Lors d’un moment sportif d’envergure nationale, la population suisse est unie derrière un drapeau, elle ne fait plus qu’un pour soutenir son équipe ou ses athlètes.

Les performances des athlètes suisses peuvent aussi influencer la popularité de certains sports auprès du public et ainsi leur médiatisation. Massimo Lorenzi explique qu’il y a souvent « une identification et une adhésion du public à un sport parce qu’il y a un·e sportif·ve suisse performant·e ». Il donne l’exemple du tennis qui a été rendu très populaire grâce à Roger Federer et Stan Wawrinka. Depuis lors, une partie de la population suisse s’est désintéressée du tennis. « Il y a moins d’engouement pour le tennis, ce qui fait que nous revoyons un peu à la baisse nos contrats de diffusion pour certains rendez-vous. Nous gardons toutefois les Grands Chelems », indique le rédacteur en chef des Sports à la RTS. Les grands rendez-vous sportifs tout public sont toutefois toujours diffusés par la RTS, qu’il y ait des athlètes suisses ou non.

Un changement de consommation et de réception des sports par les publics s’observe avec l’émergence du digital. En effet, les nouveaux canaux permettent de démultiplier l’offre sportive. Si une chaîne de télévision ne peut diffuser qu’un seul événement sportif à la fois, une plateforme digitale peut en diffuser plusieurs simultanément. La RTS a considérablement développé sa plateforme en ligne et son application RTS Sport, afin de permettre cette diffusion multi-sports. Michel Desbordes explique que le digital change l’approche de consommation du sport parce que le public choisit ce qu’il souhaite regarder. Même si le direct reste dominant dans le sport, le replay ou les résumés différés sont de plus en plus appréciés.

Le digital et les réseaux sociaux permettent également de donner une nouvelle visibilité à certains sports. L’ultra-trail ou l’escalade sont des exemples donnés par Massimo Lorenzi. Les réseaux sociaux ont ainsi le potentiel de toucher une plus large audience et de faire connaître le sport à d’autres publics. C’est dans cette optique que la rédaction des Sports de la RTS a développé une offre originale et spécifique sur la plateforme Instagram, dans le but de parler de sport autrement et à un autre public.

Et les sports demain ?

Les changements sociétaux et le développement technologique vont-ils provoquer une (r)évolution dans les sports de demain ? Massimo Lorenzi n’en est pas sûr, il estime que les sports de tradition forte « inscrits dans l’ADN des Suisses » vont rester inchangés. Michel Desbordes confirme que le football restera le sport phare dans le monde entier. Il explique toutefois que le digital a permis au e-sport de se développer. Si certain·es estiment qu’il ne s’agit pas de « vrai » sport, Michel Desbordes nuance ce propos : « il y a des athlètes, des coachs, de la nutrition, des sponsors, des événements, de la billetterie, des spectateur·trices. Ces critères contribuent plus à définir le sport que la transpiration ». Michel Desbordes nuance avec le développement de formes de pratiques hybrides « mi électroniques, mi réelles ». Certaines plateformes de course en ligne ont été popularisées pendant la pandémie et les premières compétitions hybrides ont déjà vu le jour. Plus besoin de se déplacer, plus besoin de faire face à la météo et aux dangers naturels. Ces évolutions technologiques pourraient-elles offrir un important changement au sport ?

 

Par Marie Jaquet

Paru dans le magazine Médiatic 227 (juin 2024)