La révolution de l’intelligence artificielle (IA) s’invite progressivement dans nos vies, y compris professionnelles. Comment la RTS l’intègre-t-elle à ses activités dans le cadre de sa transformation digitale ? Présentation de son utilisation avec Jean-Paul Persiali, responsable de produit IA.
Quand l’IA a-t-elle été introduite à la RTS ?
L’usage de l’IA sur nos contenus a d’abord été introduite en 2018 par les données et archives pour enrichir nos archives en métadonnées. Du côté du digital, on m’a proposé de l’intégrer à mes activités en 2021, lorsque l’utilisation de l’IA générative a commencé à se profiler comme une technologie disruptive avec l’arrivée des grands modèles de langage comme OpenAI GPT, moteur de ChatGPT. L’année d’après a démarré le développement de l’outil RTS BakerStreet par l’équipe Sherlock – d’où le nom ! – dont je suis responsable et qui est désormais maintenue par une équipe de trois data scientists (experts en science des données), trois développeurs et un scrum master (facilitateur). Notre objectif premier était de permettre à nos équipes éditoriales d’accéder facilement à des fonctionnalités d’intelligence artificielle au travers d’une application web unique, pour mieux accompagner notre transformation digitale.
En quoi consiste le rôle de responsable de produit IA ?
J’agis comme un pont entre les équipes éditoriales, le public et les équipes techniques de la RTS pour m’assurer que ces dernières comprennent bien les besoins des premiers pour développer de nouvelles fonctionnalités IA sur BakerStreet. Mon rôle est de m’assurer que les fonctionnalités proposées et développées correspondent à la stratégie de l’entreprise, qu’elles optimisent le travail des rédactions et qu’elles sont utilisées le plus largement et transversalement possible par nos collaborateurs.
Concrètement, qu’est-ce que BakerStreet permet de faire ?
Sur la base de contenus texte, audio et vidéo, l’application permet par exemple aux collaborateurs de transcrire ces contenus, de les traduire, de les résumer ou d’interagir avec eux grâce à une librairie de prompts, partagée transversalement à toute la SSR, au travers d’un assistant IA. Chaque prompt permet de décrire le rôle de l’assistant, les règles et les tâches que doit suivre le système IA pour traiter ces contenus et donner des réponses optimisées pour les rédactions. C’est particulièrement utile pour isoler des citations, identifier des extraits clés, générer des sous-titres, des résumés, des bases d’articles ou identifier des angles et des traitements grâce à l’intégration des user needs, modèle stratégique décrivant quels besoins du public couvrent nos contenus. Un exemple de cette utilisation de l’IA à la RTS serait les résumés des articles de RTS Info générés grâce à un prompt créé et validé par un journaliste. BakerStreet permet également d’analyser la tonalité des commentaires laissés sur nos plateformes pour déceler des tendances comme la news fatigue ou, au contraire, un engagement fort sur certaines thématiques. Les possibilités sont multiples, et développées en continu.
Comment définissez-vous les nouvelles fonctionnalités à implémenter ?
Il s’agit d’un travail d’équipe avec les représentants des rédactions de la RTS. Nous avons régulièrement contact pour démontrer et définir les fonctionnalités qui permettraient d’optimiser leurs processus de travail et de produire des contenus avec toujours le même repère : comprendre les besoins de notre public et développer un outil qui aide les rédactions à y répondre.
L’utilisation de l’IA soulève de nombreuses questions éthiques. Quelles règles les collaborateurs de la RTS doivent-ils suivre lorsqu’ils y font appel ?
La première, fondamentale, c’est que l’utilisation de l’IA doit toujours se faire dans le respect de la déontologie professionnelle. Toute personne qui utilise BakerStreet s’engage à respecter les principes fondamentaux de notre charte IA, qui est évolutive: l’outil doit renforcer les capacités des professionnels sans remplacer l’expertise humaine, son utilisation est admise pour traiter uniquement des contenus qui proviennent de sources fiables, et aucun texte traité par l’IA, même partiellement, ne peut être publié sans avoir été préalablement vérifié par un humain. Nous faisons également attention à notre impact environnemental et ne faisons pas appel à BakerStreet pour des tâches ultrasimples puisque l’IA générative consomme beaucoup d’énergie.
Un tel outil existe-t-il ailleurs à la SSR ?
Nous avions initialement développé BakerStreet à la RTS pour la RTS, puis des représentants des autres unités d’entreprise de la SSR ont vu nos démonstrations de l’application et s’y sont intéressés. Un data scientist de SRF a d’ailleurs récemment rejoint notre équipe pour développer une version SRF BakerStreet qui réponde à leurs besoins. RSI et RTR vont prochainement nous rejoindre, et Swissinfo est en train de tester la possibilité d’utiliser l’outil.
Qu’en est-il dans d’autres rédactions à l’étranger ?
On remarque que la RTS inspire les autres médias de service public en matière d’intégration de l’IA. Nous faisons régulièrement des démonstrations aux membres des Médias francophones publics et de l’Union européenne de radio-télévision, qui sont impressionnés par la rapidité et l’efficacité de l’outil lorsqu’il est utilisé dans les salles de rédaction, mais aussi par la collaboration entre nos équipes techniques et éditoriales pour définir les nouvelles fonctionnalités à implémenter. Ce qui nous différencie, c’est aussi notre approche centrée sur les user needs : l’IA ne doit pas simplement nous permettre de produire des contenus, mais avant tout nous aider à répondre aux besoins de notre public.
Par Lisa Prongué
Paru dans le magazine Médiatic 230 (mars 2025)