30.06.2025 - Médiatic

La médiatisation, ce catalyseur clé du football féminin

L’équipe de Suisse jouera à domicile durant l’Euro de football féminin. (Keystone © Michael Buholzer)

Qui ne s’est jamais rêvé star sportive de premier plan devant une compétition retransmise à la télé ou commentée à la radio ?

Cet été, la Suisse sera une véritable génératrice de rêve en accueillant l’Euro de football féminin du 2 au 27 juillet. Journaliste et footballeuse, Sarah Rempe revient sur l’histoire du foot féminin – et la sienne.

Petite, je rêvais d’être Ronaldinho, ou plutôt Carles Puyol avec mon gabarit de défenseuse. En équipe suisse, j’admirais Hakan Yakin ou Tranquillo Barnetta – aucune femme là au milieu, normal, on n’en voit nulle part et on ne sait pratiquement pas qu’il est possible de pratiquer le football.

Pourtant, moi, petite fille de 8 ans, je décide de me lancer. Parce que j’aime jouer avec mes copains. En plus, quand j’en parle à ma maman elle me sourit en me disant : « Moi j’aurais bien voulu faire du foot. Mon parrain m’avait même offert des chaussures, mais à l’époque, ça ne se faisait pas. » Me voilà donc doublement investie de la mission de chausser fièrement les crampons.

Nous sommes alors en 2002 et, à cette époque, on est à peu près 10 000 dans le pays. 10 000 seulement contre 215 000 joueurs masculins, sans beaucoup d’équipes 100 % féminines. On doit donc jouer avec les garçons. C’est chouette, mais on ne se sent pas toujours entièrement à notre place. On doit se dépêcher de se changer avant les autres dans le seul vestiaire disponible, ou dans celui de l’arbitre. On encaisse des remarques, des insultes parfois, sur le terrain et même de la part des parents, en dehors.

Sur le terrain moi je suis « la fille ». Quand tout le monde se fait appeler ou remarquer par son numéro — « Pas mal leur numéro 10 ! » — je reste « la fille ». Je suis plus grande car je joue avec des garçons d’une année plus jeunes que moi. « Les filles sont mûres plus rapidement, les garçons sont, par leur condition, légèrement avantagés », explique la brochure de l’Association suisse de football dédiée aux entraîneurs. Difficile donc de passer inaperçue et par conséquent d’être comme tout le monde.

Combien n’ont pas osé franchir ce pas ? Combien se sont contentées de s’entendre dire « le foot, c’est pas pour les filles » ? Beaucoup trop.

Mais vingt-trois ans plus tard, les choses ont heureusement bien changé et cet été les stars – enfin féminines ! – du ballon rond sont attendues chez nous. Prêtes à faire briller les étoiles dans les yeux de plein de petites footballeuses qui, je l’espère, chausseront les crampons à leur tour, sans différence, sans préjugés, juste par plaisir et passion.

Débuts poussifs

Mais avant d’être le grand rendez-vous européen de 2025, la Suisse a mis le temps avant de reconnaître pleinement le football féminin. Il n’y a en effet que 60 ans tout pile cette année – comme un symbole – que Madeleine Boll fut la première fille à recevoir son passeport de joueuse… par erreur.

Avant cela, les filles et les femmes avaient déjà envie de taper dans un ballon. On trouve des preuves de cette envie dans les archives en 1929 déjà, quand nos voisines françaises ou allemandes pratiquaient déjà ce sport, tout comme les Anglaises. Mais à cette époque, la médecine dans sa globalité déconseille aux femmes de pratiquer le football.

Ainsi, Alfred Thooris, éminent morphologiste français, est cité dans un édito du Courrier de Vevey en 1935 : « Le Dr Thooris, s’il approuve la femme dans la recherche de la santé et de la beauté par les sports, défend la mère et lui rappelle son devoir de procréatrice. Lui aussi condamne les sports violents qui déséquilibrent la nature et les compétitions qui, elles, déséquilibrent les meilleurs sports. Haltères, boxe, football sont sévèrement condamnés. »

On ne peut pas dire que les médias de l’époque soient très enthousiastes à l’idée de voir des footballeuses sur les pelouses. Pas étonnant dès lors qu’il faille attendre quatre décennies de plus avant d’assister à la naissance du premier club de football féminin du pays : le Damen-Fussball-Club Zürich, en 1968.

Médiatisation essentielle

« Il existe une équipe féminine en Hollande, une autre en Allemagne. Il y eut récemment six mille personnes dans les gradins pour les voir s’entre-dévorer. Cela se passa dans la Moselle, étant donné que ni la Hollande, ni l’Allemagne ne tenaient à être le théâtre de cette rencontre internationale. On se demande pourquoi… »
Cet article de La Nouvelle Revue de Lausanne daté de 1962 résume assez bien le rapport des médias au football féminin à l’époque.

Pourtant, depuis quelques années, le monde médiatique semble gentiment s’accrocher au wagon des footballeuses, la SSR en tête. En 2015, lorsque l’équipe de Suisse s’est qualifiée pour le premier grand tournoi de son histoire, la Coupe du monde au Canada, les chaînes du service public diffusent tous les matchs de la Nati, accompagnant – et incitant – ainsi le développement de la discipline.

Même lors d’événements où la sélection nationale ne se qualifie pas, comme l’Euro 2017 ou la Coupe du monde 2019, la SSR renouvelle son soutien au football féminin, diffusant les plus belles affiches des compétitions. L’Euro 2022 et la Coupe du monde 2023 font encore monter d’un cran l’offre du service public qui retransmet l’intégralité des matchs sur Internet, en plus des affiches diffusées en direct à la télévision.

Une volonté claire pour la SSR de marquer son soutien à l’importance croissante du sport féminin en élargissant constamment sa couverture. La diffusion régulière de la Women’s Super League souligne encore cette volonté qui se reflète également dans l’évolution du nombre d’heures de retransmission en direct à la télévision sur SRF, RTS et RSI : en 2024, les trois chaînes régionales de la SSR ont diffusé 1371 heures d’événements sportifs féminins en direct, soit environ un tiers (32 %) de l’ensemble des programmes sportifs diffusés en temps réel à la télévision.

Retombées

Parmi celles qui ont pu constater cette évolution, Sandy Maendly, ancienne internationale : « Quand j’ai débuté dans le foot, on ne voyait jamais un match à la télé », se souvient-elle. « Le fait qu’aujourd’hui les stades se remplissent, c’est grâce à cette médiatisation justement. Sans ça, les gens ne s’y seraient jamais intéressés. »

Pour elle, la médiatisation est une reconnaissance et surtout un point clé dans l’évolution du football féminin. D’autant plus cette année, avec la réception de l’Euro, l’événement féminin le plus important du continent :
« Il faudra qu’on capitalise sur cette manifestation pour qu’elle ne reste pas un one-shot. »

Et si cette médiatisation est un enjeu important pour le développement du football féminin professionnel, il l’est tout autant dans les structures amateures régionales :
« Tout ce qui contribue à rendre le football féminin banal, je prends », affirme en souriant Beatriz Pérez, présidente de la commission du football féminin pour l’Association cantonale vaudoise de football (ACVF).
« Les médias vont amener cette banalité qui fera que l’on considère le football féminin aussi normal que celui des hommes. »

En parler plus et en voir plus, c’est ce qui encouragera aussi les petites filles à se lancer :
« Ça fera tomber les préjugés qui perdurent et selon lesquels le football est un sport masculin », appuie Beatriz Pérez.

Mais pour elle, la médiatisation n’est qu’un outil parmi d’autres à mettre en place pour poursuivre le développement de ce sport pratiqué aujourd’hui par plus de 41 000 filles et femmes dans le pays (contre 21 000 il y a dix ans). Un autre enjeu important réside dans ce que les instances dirigeantes feront de cet Euro féminin organisé sur sol helvétique une fois la compétition terminée :
« Il y a des programmes en cours, que ce soit au niveau de l’Association suisse de football ou via les cantons, qui visent à capitaliser sur l’Euro et à en conserver un héritage qui valorisera encore le football féminin », souligne Beatriz Pérez.

Plus de comparaisons

Au-delà de l’avenir post-Euro, pour Sandy Maendly, il reste une barrière à faire tomber pour que sa discipline soit vraiment reconnue : « Il faut qu’elle soit considérée comme un sport à part entière et pas systématiquement comparé avec celui des hommes. C’est le seul qui continue à l’être alors qu’il n’y a pas vraiment de raison. On sait qu’il y a des différences, mais on ne pourra pas les changer. Alors il faut prendre ce sport comme il est, et j’espère qu’avec l’Euro, les plus réticentes et réticents se rendront compte que c’est aussi très agréable, qu’il y a du spectacle, une belle ambiance dans les stades, et qu’ils s’y intéresseront par la suite. »

Cet été, les stades seront pleins et la fête sera belle du 2 au 27 juillet. Les 31 matchs — qui se dérouleront au Parc Saint-Jacques (Bâle), au Wankdorf (Berne), au Letzigrund (Zürich), au Stade de Genève, à l’Arena St. Gallen, à Lucerne, au Stade de Tourbillon (Sion) et à Thoune — devraient accueillir plus de 700 000 personnes.
Une opportunité d’écrire un nouveau chapitre.

Par Sarah Rempe

Paru dans le magazine Médiatic 231 (juin 2025)