Welcome home ! Pour la troisième fois de son histoire, le Concours Eurovision de la chanson est de retour en Suisse, là même où il a démarré en 1956.
Après la victoire de Nemo l’an dernier, c’est à la SSR qu’il incombe d’organiser la 69e édition du concours à Bâle dont la finale se déroulera le 17 mai. L’entreprise de service public se doit d’orchestrer un show inoubliable avec des standards de qualité internationale tout en y insufflant notre identité helvétique. Autre objectif dans le viseur : faire de l’Eurovision une grande fête de la musique, populaire, inclusive et créatrice de cohésion dans toute la Suisse. De multiples initiatives sont proposées ce printemps, aussi bien pour les écoliers, les seniors que les artistes du cru aux quatre coins du pays.
Samedi historique pour les annales suisses du Concours Eurovision de la chanson (appelé ESC, acronyme d’Eurovision Song Contest) que ce 11 mai 2024. La chanson The Code remporte la 68e édition du concours à Malmö. Nemo, avec sa voix exceptionnelle et ses tenues extravagantes, ne laisse pas indifférent. L’artiste de Bienne se réclame du troisième genre et a eu le cran de défier le règlement en défilant sur la scène avec l’étendard de la communauté non-binaire sur le cœur.
Comme le veut l’usage, le pays vainqueur accueille le concours l’année suivante. Ce sera donc à Bâle en 2025. L’ex-directeur de la SSR, Gilles Marchand, s’était réjoui du challenge : « Même si l’organisation du concours est un immense défi pour les diffuseurs au niveau des ressources et des finances, nous nous réjouissons d’accueillir cet événement très populaire. » L’entreprise de média public a démarré presto le projet et son Comité a nommé fin mai les deux coproducteurs exécutifs du projet, au profil complémentaire. L’un évolue dans le monde du show. Reto Peritz dirige le département Divertissement de SRF. Le Zurichois, né à Bâle, a notamment été chef de la délégation suisse du concours. L’autre est dans la production. Moritz Stadler officie à la RTS comme chef du département Opérations depuis 2022. Parfait trilingue, il a pris ses quartiers à Bâle où il nous accueille, enthousiaste, dans les locaux de la SRF : « Des événements comparables à l’Eurovision, en termes de taille, de complexité, d’enjeux, ça prend quatre ans à mettre en œuvre. Nous avons dix mois pour le faire ! » La SSR va produire neuf shows : les deux demi-finales et la finale sont précédées de deux répétions en public et dans les conditions du direct.
À l’origine de l’ESC, un Vaudois visionnaire
Avant de découvrir comment s’échafaude l’ESC, précisons ses origines. Le concours est né au milieu des années 50 grâce à Marcel Bezençon. Le Vaudois est alors membre de la commission des programmes de l’UER (Union européenne de radio-télévision). Celle-ci rassemble les radiodiffuseurs pionniers en Europe de l’Ouest. Au fil des ans, l’UER s’étoffe et se donne pour mission d’échanger des programmes. Marcel Bezençon avance l’idée d’un « programme télévisé dédié à la chanson », basé sur le modèle du Festival de Sanremo. Son rêve d’une Europe unie autour de la culture et du divertissement se concrétise en 1956 avec le premier « Grand Prix Eurovision de la chanson européenne ». Le mot « Eurovision » fait référence au nom du réseau d’échanges entre les différentes chaînes TV membres de l’UER.
Aujourd’hui, l’UER reste propriétaire de la marque Eurovision. « L’UER garantit que le concours se déroule selon les standards définis par ses membres en termes de qualité dans l’organisation, d’équité, de respect des règles », résume Moritz Stadler. La SSR est chargée de la mise en place et de l’exécution de l’événement. « Notre rôle va bien au-delà du show télévisé : nous choisissons la ville hôte, l’arena, les présentateurs, nous élaborons le concept du show et sommes responsables de tout ce qui est organisé en lien avec l’ESC, à Bâle comme dans le reste du pays. Une partie de cette responsabilité est ensuite déléguée à la ville hôte. Contrairement à ce nous pourrions penser, l’UER ne vient pas avec un modèle prêt à être déployé. Notre marge de manœuvre est grande. » Un axe de travail a été de remettre en question certains dispositifs des éditions passées, pour faciliter la tâche de l’UER et celle de ses membres, futurs organiseurs de l’ESC.
Un laboratoire où tester des approches et dispositifs différents
L’avenir s’annonce chahuté pour la SSR poussée à se transformer en profondeur. L’ESC, avec les défis à relever en termes de temps et de finances notamment, peut servir de laboratoire pour tester de nouvelles méthodes. Dès sa constitution, la cellule Eurovision de la SSR a ainsi été pensée de façon innovante. « Avec Reto Peritz, c’est comme si nous étions les PDG d’une start-up, cela nécessite une équipe qui partage une vision, une stratégie et qui est animée d’un état d’esprit positif. C’est indispensable pour faire face au grand nombre de décisions importantes qui doivent être prises en autonomie, au bon endroit et avec une connaissance globale et un alignement. S’y ajoutent les tempêtes qui ne manqueront pas. »
Autre exemple intéressant : l’introduction du budget à base zéro. Le budget global n’est plus découpé en tranche et alloué aux différents secteurs. Chaque dépense est rattachée à une ambition et un axe stratégique, et repensée dans le but d’une utilisation optimale. Il s’agit de s’en tenir aux « 20 millions maximum » qu’engage la SSR, selon Edi Estermann, chef de la communication de l’ESC 2025.
Croissance exponentielle des collaborateurs
Un autre domaine s’est avéré complexe, le recrutement du personnel : « Nous étions deux à la fin mai, 100 au début 2025 et nous serons, bénévoles inclus, 1500 en mai. Plusieurs dizaines de recrutements sont menés en parallèle. Tant au niveau de la modélisation que de la planification, notre expérience sera utile aux RH de la SSR », estime Moritz Stadler. Trouver les bons profils pour les bons postes engage la réussite du projet : « Tobias Åberg, notre responsable de production, est Suédois. Il a à son actif plusieurs ESC et apporte à Bâle une expérience qu’il serait difficile à intégrer en peu de temps. »
Un recrutement a un peu fait tiquer, celui des présentatrices de la finale, Michelle Hunziker, Hazel Brugger et Sandra Studer. On a décrié que le trio était soit 100% alémanique, soit 100% féminin. « Les critères de sélection pris en compte n’étaient liés ni aux origines, ni au genre. Ce trio représente les valeurs que nous souhaitons mettre en avant en 2025, l’ouverture, la diversité, la spontanéité », rectifie le coproducteur exécutif. Un joli coup médiatique a été en revanche salué par tous : la star de la couture Kevin Germanier a été embauché pour réaliser les tenues des présentatrices. Le Valaisan avait enchanté les Jeux olympiques de Paris l’été dernier avec ses costumes en matériau recyclé.
À quelques mois de l’événement, le suspense s’amplifie autour de l’Eurovision à Bâle. À quoi ressemblera cette cité géante de la musique du 10 au 17 mai ? Les communautés de fans pourront se retrouver, côtoyer les artistes. L’emblématique Messe und Congress Center devient l’Eurovision Village où se dérouleront les nombreux événements spéciaux et concerts. Avec le slogan Crossing Borders, Bâle s’inscrit sous le signe de la tolérance, du rassemblement des langues et de l’inclusion.
L’Eurovision doit promouvoir la cohésion dans le pays, permettre une expérience culturelle commune et montrer les réalités diverses de la vie en Suisse. Le projet s’est doté d’une cellule valeur publique pour générer un esprit ESC et une fierté SSR, bien au-delà du show télévisé. Un projet de communauté pour mobiliser autour de la musique, dans un esprit d’unité. Parmi les initiatives figurent l’organisation d’une disco géante pour les seniors ou des ateliers d’écriture de chansons proposés aux ados dans toute la Suisse, suivis d’un concours entre écoles. À Bex, Corgémont et Genève, des jeunes mènent l’expérience, coachés par la SUISA. La relève est assurée.
Encadré : Marie Jay et les autres
La scène musicale suisse est riche de talents émergents qui ont besoin d’être soutenus. Le projet SRG SSR On the Road to Basel propose une tournée dans les quatre régions linguistiques du pays avec des artistes de langue différente qui se partagent la scène. Le multilinguisme participe à la richesse de la diversité culturelle du pays et la musique devient un instrument de cohésion nationale.
Aux côtés de la Zurichoise Cachita, du Romanche Mattiu Defuns et des Tessinois Looppoli, la Lausannoise Marie Jay, distinguée par un Tataki Award en 2024, sera la voix romande. Le quintuor, coaché par Gjon’s Tears, reprendra le tube de Céline Dion Ne partez pas sans moi. La tournée s’achèvera en apothéose à Bâle sur la scène très trendy de la Barfüsserplatz.
D’ici là, On the Road to Basel aura fait halte à Lausanne le 2 mai pour un show en public au Studio 15 de La Sallaz. Jean-Marc Richard copilotera la soirée et rembobinera quelques souvenirs, lui qui commente l’Eurovision depuis 1991 pour la RTS. Les sociétés régionales de la SSR sont porteuses du projet, associées aux différentes unités d’entreprise pour optimiser son impact.
Par Marie-Françoise Macchi
Paru dans le magazine Médiatic 230 (mars 2025)