24.03.2025 - Médiatic

Dieu et le service public: RTS Religion repense son offre digitale

Patrick Léger, chef de l'Unité société audiovisuelle de la RTS (RTS © Laurent Bleuze)

Pourquoi la RTS consacre-t-elle encore des émissions au fait religieux dans une Suisse toujours plus sécularisée ? Et comment s’y prend-elle ?

Entre mission de service public, équilibre éditorial et nouveaux formats digitaux, la RTS et ses partenaires continuent d’explorer les croyances et spiritualités sous un prisme journalistique. À l’heure où la quête de sens prend de nouvelles formes, le traitement du religieux se réinvente aussi.

Le constat est clair. La part de la population sans appartenance religieuse n’a cessé d’augmenter en Suisse ces cinquante dernières années et dépasse aujourd’hui la part des catholiques. Alors, est-ce qu’on ne croit plus en rien ? Pas sûr, près d’un tiers des personnes sans confession estiment être plutôt voire tout à fait spirituelles, relève une étude de l’OFS. La quête de sens, peu importe la réponse qu’on lui donne, n’est pas prête de s’arrêter, d’autant plus dans le contexte anxiogène actuel.

La RTS est bien décidée à continuer d’explorer le sujet, estimant que le fait religieux est et demeure pour elle un fait journalistique. Et ça ne date pas d’hier. Le 18 mai 1923, la première diffusion radiophonique d’un office religieux avait lieu. Longtemps confiés à des figures ecclésiastiques, ces programmes ont évolué vers une approche plus journalistique. RTS Religion a également élargi son horizon pour y inclure la spiritualité au sens large.

Un partenariat unique
Pour remplir son mandat de traitement des questions religieuses et spirituelles (voir encadré), la SSR collabore ponctuellement avec les Églises, dans le respect de l’autonomie de programmation prévue par la Constitution. La rédaction RTS Religion repose sur une équipe d’une douzaine de journalistes, productrices et producteurs spécialisés employés par Médias-Pro et Cath-Info, respectivement les centres médias réformés et catholiques. Ces derniers assument notamment les coûts éditoriaux liés aux offices religieux tandis que la RTS assure une partie des moyens techniques et la production des magazines. Les termes de la collaboration sont inscrits dans une convention.

Un partenariat inédit, qu’en est-il ailleurs ? « C’est un cas unique dans le service public audiovisuel en Europe. Nous sommes les seuls à éditorialiser véritablement le fait religieux via une rédaction propre », souligne Patrick Léger, chef de l’Unité société audiovisuelle de la RTS. Marie Destraz est journaliste et productrice au sein de la rédaction RTS Religion digital. Elle détaille : « On a un statut un peu particulier. On est employés par des institutions externes tout en travaillant pour la RTS. C’est une situation qui nous rend à la fois autonomes et intégrés. »

Miser sur le numérique
L’offre de la RTS sur les thématiques religieuses, éthiques et spirituelles repose sur trois piliers : la TV avec la diffusion des messes et des cultes ; la radio avec Hautes fréquences, Babel et une chronique quotidienne dans Le Journal du matin ; et enfin le digital qui a été renforcé après l’arrêt de Faut pas croire sur RTS 1. Après une première saison avec des portraits pour Instagram et des vidéos explicatives pour YouTube, la RTS revoit aujourd’hui sa copie : « Les vidéos YouTube duraient une dizaine de minutes et il y avait un côté très statique, lié aux tournages sur des plateaux. Pour le nouveau projet, on souhaite sortir du studio et aller à la rencontre des gens », dévoile Patrick Léger.

La nouvelle approche repose sur le vécu. Un tournant qui permet d’explorer la religion à travers les récits individuels et incarnés. « Ce format suivra des personnes vivant une expérience marquante en lien avec leur spiritualité. L’éventail de sujets potentiels est large : premier ramadan, pèlerinage du garde suisse, don d’organes, masculin sacré, préparation de ses obsèques… On veut raconter ces histoires avec une approche immersive, comme un journal intime, où les protagonistes se filment et racontent eux-mêmes », détaille Marie Destraz. Mais parler de sa foi, de ses croyances, c’est plutôt intime, non ? « Je suis toujours étonnée de voir à quel point les gens acceptent de nous confier leur histoire. C’est une question de confiance, il faut créer un climat où ils se sentent à l’aise pour le faire », poursuit-elle.

Pas de polémiques donc, ni d’actualité chaude pour ce nouveau volet digital. Patrick Léger précise que ce nouveau format n’a pas vocation à aller sur le terrain politique : « On ne traitera pas de la guerre entre Israël et le Hamas, même si elle comporte une dimension religieuse. D’autres émissions le font, comme Geopolitis par exemple. » Au niveau de la diffusion, pour moins dépendre de plateformes tierces comme Instagram et YouTube, les vidéos seront proposées en priorité sur l’application Play RTS et pourront ensuite être relayées en TV et sur les réseaux sociaux.

Renforcement chez les Anglo-saxons
La question de la couverture du fait religieux ne se limite pas à la Suisse et à la RTS. Ailleurs, d’autres grands médias de service public repensent leur approche. National Public Radio (NPR) est le principal réseau de radiodiffusion non commercial et de service public des États-Unis. Récemment, l’organisation a annoncé un renforcement de sa couverture sur la religion. « Nous avons certainement appris et observé qu’un grand nombre de questions qui sont devenues importantes ces dernières années peuvent être vues sous un prisme religieux […] et pourtant nous avons eu le sentiment que ce point de vue ne recevait pas l’attention qu’il mérite », analyse Bruce Auster, rédacteur en chef de NPR pour le journalisme collaboratif.

La BBC prévoit elle aussi d’accroître sa couverture, en particulier digitale, en mettant l’accent sur la diversité du Royaume-Uni. C’est ce qu’ont annoncé les responsables radio et TV des départements Religions et Éthique. La BBC reste soumise aux exigences de l’Ofcom – l’organisme de régulation et l’autorité de la concurrence pour les industries des communications au Royaume-Uni – qui stipule la diffusion annuelle d’environ 200 heures de contenu religieux à la télévision et 500 heures à la radio.

Un risque de prosélytisme ?
La question de l’objectivité dans le traitement du religieux revient souvent. La RTS affirme une ligne éditoriale claire : un traitement journalistique, sans intention confessionnelle ni prosélytisme et attentif à la diversité des croyances. « On ne souhaite pas être une rédaction qui ne parle que du catholicisme et du protestantisme. On doit aussi donner de la place à l’islam, au judaïsme, au bouddhisme, aux nouvelles formes de spiritualité. L’objectif est de refléter la diversité des croyances en Suisse. Cath-Info et Médias-Pro sont très ouverts et accompagnent pleinement cette ouverture », insiste Patrick Léger. Marie Destraz abonde également dans ce sens. « Je suis journaliste, pas évangélisatrice. Mon travail, c’est d’interroger la religion et la spiritualité avec la même rigueur que n’importe quel autre sujet, dans le respect de la déontologie. Il faut sortir de cette idée que parler de religion, c’est forcément faire du prosélytisme. »

En explorant la diversité des parcours spirituels et en renouvelant ses formats, RTS Religion tente aussi de dépasser les clivages pour favoriser une meilleure compréhension mutuelle. Alors que le populisme s’étend et que les débats sur l’identité et la laïcité deviennent de plus en plus clivants, ce travail conserve tout son sens.

Encadré : Que dit la concession ?
La concession précise le mandat de la SSR et de la RTS. Depuis 2007, le terme « religion » y est explicitement mentionné à l’article 3 qui détaille les grands principes de l’offre journalistique des médias de service public : « À travers l’ensemble de ses services journalistiques, la SSR favorise la compréhension mutuelle, la cohésion et l’échange entre les différentes régions du pays, les communautés linguistiques, les cultures, les religions et les groupes sociaux, et tient compte des particularités du pays et des besoins des cantons. »

Par Vladimir Farine

Paru dans le magazine Médiatic 230 (mars 2025)