29.11.2023 - Médiatic

Les médias de service public face au dédale des réseaux sociaux

© Unsplash / RTSinfo

«Attends, je fais vite une story pour Instagram», est une phrase que vous avez peut-être déjà entendue, ou vous-même prononcée. Les réseaux sociaux ont envahi notre quotidien, nous permettant de partager des moments de notre vie, de communiquer, de se divertir ou encore de s’informer. Cela, en tout temps, rapidement et facilement. Pour toucher un certain public, il faut l’atteindre via les réseaux sociaux. Les médias ont bien compris ce phénomène, ils ont donc investi les plateformes sociales pour informer instantanément la population sur l’actualité brûlante. Un public souvent — mais pas exclusivement — jeune, qui cherche à s’informer sur des sujets qui le touchent particulièrement.

 

Ces 20 dernières années ont été marquées par l’important développement du numérique, appuyé par l’avènement de la technologie mobile. Aujourd’hui, plus de 90% de la population suisse possède un smartphone. Au milieu de cela sont apparus les réseaux sociaux, avec notamment Facebook fondé en 2004, l’un des premiers réseaux sociaux qui deviendra ensuite un géant du monde digital. Aujourd’hui, 72% de la population suisse utilise au moins une plateforme de réseaux sociaux, selon l’étude 2023 du Digimonitor, soit 4,8 millions de personnes. Et dans le monde? C’est près de 4,76 milliards de personnes qui sont considérées comme des utilisateurs actifs des réseaux sociaux.

Mais au fait, qu’est-ce qu’un réseau social? Il s’agit d’un site internet – généralement utilisé via une application mobile – qui permet d’interagir avec un réseau d’amis, de connaissances, de collègues, mais aussi d’étrangers ou de personnes célèbres. Ces
réseaux offrent différentes possibilités d’interaction, comme la publication ou le partage de photos, vidéos ou articles, ou encore l’écriture de messages et commentaires. Il s’agit donc d’un lieu où les personnes peuvent communiquer entre elles à travers différents moyens. Outre les réseaux sociaux, on parle parfois de médias sociaux. La principale différence est que le média social est une plateforme permettant de créer du contenu et de le partager, afin qu’il soit ensuite vu et commenté. Les réseaux sociaux sont en fait une sous-catégorie des médias sociaux. Voilà une définition assez globale et théorique, tellement chaque réseau social a su développer ses propres codes et pratiques pour se différencier des autres.

 

S’informer sur les réseaux sociaux

Les réseaux sociaux sont devenus un support indispensable pour diffuser l’information. En Suisse, 33,5% des utilisateurs sur les réseaux sociaux indiquent les utiliser principalement pour lire les informations et suivre l’actualité, selon le Global Digital Report 2023. Utiliser les réseaux sociaux pour suivre l’actualité est d’ailleurs la troisième raison d’utilisation des réseaux sociaux, après être en contact avec ses proches et occuper son temps libre.

Il est donc nécessaire pour les médias d’être présents sur les réseaux sociaux afin de proposer du contenu permettant aux utilisateurs de s’informer et ainsi atteindre un autre public. C’est d’ailleurs le cas pour la RTS, qui est présente sur diverses plateformes, depuis que les réseaux sociaux existent: «nous utilisons les réseaux sociaux pour toucher une partie du public que nous ne pouvons pas toucher sur nos plateformes propres. Le but est d’atteindre tous les publics pour remplir notre rôle de service public», explique Anne-Paule Martin, cheffe du Digital à la RTS. Ce n’est donc pas un hasard ou une simple envie des médias de publier sur les réseaux sociaux, mais bien une nécessité pour informer tous les publics et ainsi répondre au mandat délivré à la SSR par la Confédération.

Lorsqu’on se penche sur les résultats globaux des contenus publiés par la RTS sur les réseaux sociaux, l’on constate une augmentation constante du nombre de vues des contenus, notamment sur les plateformes Instagram et TikTok: «les chiffres sont bons, nous répondons à l’objectif d’atteindre le public suisse romand, c’est notre mission», ajoute Anne-Paule Martin. La RTS arrive ainsi à toucher un public qu’elle n’atteint pas nécessairement via ses autres canaux et permet à ce public de s’informer et de se faire une opinion sur l’actualité et divers sujets de société. À l’occasion des élections fédérales, la RTS a proposé une offre de vidéos sur les réseaux sociaux créées par et pour les jeunes. D’un côté, de jeunes citoyens parlent de leurs préoccupations et de thèmes importants pour eux pour ces élections. De l’autre, de jeunes candidats expriment leurs points de vue sur des sujets de société touchant particulièrement les jeunes. Ces vidéos ont généré plus d’un million de vues sur Instagram.

 

Le public détermine le contenu

Face au flux d’informations qui inonde les réseaux sociaux quotidiennement, quel type de contenu créer et de quel sujet d’actualité traiter ? La réponse de la RTS face à cette problématique: «il faut se poser la question ‹pour quel public? ›, puis adresser cela sur la bonne plateforme et adapter le format pour que le contenu soit pertinent. L’objectif est de répondre aux besoins du public qui a été déterminé pour chaque plateforme», explique la cheffe du Digital de la RTS.

Une problématique importante sur les réseaux sociaux est en effet l’attention qui est toujours plus restreinte. Face au nombre très important de contenus publiés, il est parfois difficile de se démarquer et d’atteindre son public cible. Comment faire en sorte que les utilisateurs regardent certaines publications et pas d’autres et puissent ainsi s’informer? C’est ici que créer du contenu qui soit adapté au public et à la plateforme est primordial. En effet, la RTS ne cherche pas à atteindre le même public sur YouTube et sur TikTok, par exemple. La plateforme permet d’atteindre un public donné, et détermine ainsi le sujet et le format. À titre d’exemple, les formats à privilégier sur TikTok ou Instagram sont des vidéos (très) courtes filmées de manière verticale, tandis que sur YouTube les vidéos plus longues et horizontales sont très appréciées. La RTS, à travers ses divers comptes, décline ainsi son offre de contenus en fonction des plateformes sociales. Certains sujets seront davantage mis en avant sur une plateforme plutôt qu’une autre, car ils seront plus pertinents pour un certain public. D’autres sujets seront traités sur toutes les plateformes, mais le contenu et le format seront différents sur chaque réseau social, afin de s’adapter au mieux au public, codes et pratiques de la plateforme sociale.

Selon une étude universitaire suisse de 2020 intitulée «comment atteindre les Digital Natives suisses avec des informations», les jeunes préfèrent les formats visuels pour s’informer. Ils souhaitent trouver des informations courtes et faciles à comprendre. L’information par la vulgarisation en vidéo est notamment beaucoup pratiquée par les médias pour atteindre des publics plus jeunes, utilisateurs majoritaires des réseaux sociaux. L’étude souligne que les jeunes accordent de l’importance à l’information, afin d’avoir leur mot à dire sur les thèmes d’actualité, les sujets en vogue comme les questions de société. Il est alors essentiel que les médias de service public soient actifs sur les réseaux sociaux pour fournir une information journalistique vérifiée mais adaptée aux jeunes publics, tout en étant par nature indépendante de tout intérêt économique, partisan ou religieux. De même, il est nécessaire pour ces médias de connaître et maîtriser les codes et pratiques sur les réseaux sociaux afin d’atteindre le public recherché: «Cela implique de bien maîtriser et d’être bien au clair sur les nouveautés qui sont mises en place sur les réseaux sociaux. Il faut alors varier la façon dont nous travaillons, mais cela ne change jamais le fond du sujet traité», explique Anne-Paule Martin.

Si les médias de service public garantissent des informations neutres et de qualité, la difficulté réside dans la faible importance que les jeunes accordent à l’émetteur de l’offre qu’ils consomment. Ils vont ainsi absorber une information ou un contenu tel qu’il est et ne pas suffisamment s’attarder sur la sélection de la source ou du diffuseur. Néanmoins, les utilisateurs font davantage confiance aux informations et à l’actualité sur les réseaux sociaux lorsqu’elles leur sont transmises ou expliquées par une personne. Selon une étude de 2023 du Reuters Institute, 52% des utilisateurs d’Instagram déclarent prêter davantage d’attention aux informations données par une personnalité, contre 42% par un média traditionnel. L’écart est plus important sur TikTok avec 55% pour la personnalité et 33% pour les médias. Cette tendance montre la nécessité pour les médias de service public d’avoir un incarnant, c’est-à-dire une personne qui parlera et expliquera le sujet d’actualité dans la vidéo en s’adressant directement au public. Cette personne est ainsi un producteur de contenu auquel les utilisateurs peuvent s’identifier, comme si un ami leur expliquait le sujet de manière simple et condensée. Anne-Paule Martin donne l’exemple de Tataki, le format RTS exclusivement digital pensé pour les jeunes : « les porteurs d’image de Tataki sont représentatifs de la jeunesse d’aujourd’hui, ce qui permet de toucher le jeune public suisse romand». C’est un format aussi passablement exploité par la RTS dans ses diverses vidéos d’actualité explicatives de RTS Info, notamment le format Le Rencard de la journaliste Margot Delévaux sur Instagram.

Avec les bons formats, les bons sujets et le bon ton, il est possible de créer de l’engouement pour l’actualité sur les réseaux sociaux et permettre aux jeunes – et moins jeunes – de s’informer à travers des contenus journalistiques de qualité.

 

 

Les réseaux sociaux sont-ils le monopole des jeunes?

La réponse est plus complexe. Suivant les plateformes sociales, l’âge des utilisateurs varie. En Suisse, Instagram est le réseau social le plus populaire avec 2,9 millions d’usagers, suivi par Facebook et ses 2,8 millions d’utilisateurs. Selon le Digimonitor 2023, la moyenne d’âge de ces plateformes se situe à 34 ans pour la première et 46 ans pour la deuxième. Elles ne sont donc pas l’apanage des jeunes et sont utilisées par diverses tranches d’âge de la population.

Concernant l’information, le Global Digital Report 2023 indique qu’environ 35% des personnes utilisent les réseaux sociaux principalement pour suivre l’actualité, chiffre valable pour toutes les tranches d’âges entre 25 et 64 ans. Parmi les 16-24 ans, ce taux s’abaisse à 30%. Ceci montre l’intérêt porté à l’information sur les réseaux sociaux parmi toutes les générations.

Et les créateurs de contenus sur les réseaux sociaux? Il y a certes une grande majorité de jeunes, mais il existe des exceptions notoires. Un exemple bien de chez nous: Claude Luisier, 68 ans, fromager en Valais. Ce nom ne vous dit rien? Pourtant, il est suivi par 2 millions de personnes sur les réseaux sociaux. Dans ses vidéos, il partage de manière simple et authentique sa passion pour les fromages. Une thématique a priori peu attrayante pour les réseaux sociaux, mais qui suscite un véritable engouement chez les jeunes.

Un autre exemple est celui de Jamy Gourmaud, célèbre animateur et journaliste de l’émission française C’est pas sorcier. À presque 60 ans, il passionne diverses générations sur les réseaux sociaux avec ses vidéos expliquant de manière simple des thématiques scientifiques ou sociétales.

 

Par Marie Jaquet

Paru dans le magazine Médiatic 225 (octobre/novembre 2023)