30.10.2025 - Médiatic

Silence, ça tourne ! Les cantons séduisent les tournages

Tournage de la série Placée. (© Anne-Laure Lechat)

Comment convaincre les productions de venir tourner en Suisse, où la variété des décors naturels est un atout… et de loin pas le seul ? Le Valais s’est montré pionnier en créant en 2022 la Valais Film Commission qui, entre autres, octroie le remboursement de certaines dépenses. D’autres cantons lui emboîtent le pas. La Geneva Film Commission devrait voir le jour en 2026 tandis qu’à Neuchâtel, on va étudier les retombées économiques du tournage de la mini-série Placée, coproduite par la RTS, pour la région. La branche de l’audiovisuel souhaite y voir un premier pas vers la création d’un fonds incitatif pérenne.

Entre le Valais et le cinéma, c’est une histoire d’amour qui a commencé tôt. En 1923, le Belge Jacques Feyder tournait un film muet, Visages d’enfants, à Grimentz et dans le Val d’Entremont. Si un siècle plus tard, l’attractivité persiste, il faut cependant convaincre les productions, spécialement internationales, de venir filmer dans des décors alpins en Valais plutôt que dans le Tyrol, où tous les coûts sont moindres. Ainsi, les professionnel·le·s de l’audiovisuel regroupé·e·s au sein de l’association Valais Films, mais aussi des personnalités du monde de l’économie et de la culture, se sont démené·e·s pour mettre sur pied la Valais Film Commission (VFC) et ses dispositifs d’encouragement aux tournages.

Cette structure, active depuis 2022, travaille sur deux plans, détaille Tristan Albrecht, son responsable : « L’un, c’est la facilitation. Nous aidons les tournages à trouver des décors, nous facilitons l’obtention des autorisations nécessaires, comme des fermetures de routes ou pour un tournage dans une gare par exemple, et nous entretenons des relations avec la branche audiovisuelle locale et avec les entreprises pour d’éventuelles collaborations. D’une production à l’autre, les demandes peuvent être très variables. L’autre axe est un incitatif économique, sous la forme d’un remboursement, appelé cash rebate (réd. : remise en espèces), de certaines dépenses éligibles, faites par la production sur le territoire. »

Thématique non imposée
Entre 15 et 35 % des dépenses peuvent être remboursées, avec un montant maximum de 100 000 francs par projet. « Nous tenons compte de critères comme l’origine du film, nationale ou internationale, le degré de visibilité du Valais à l’image, mais pas de la thématique », développe Tristan Albrecht.

Entre août 2022 et fin 2024, la Valais Film Commission a investi un total de 919 353 francs à titre de remboursement de dépenses directes liées à l’hébergement, la restauration, la location de matériel, les voyages et transports, ainsi qu’à une partie des salaires des collaborateurs et collaboratrices domicilié·e·s en Valais. En retour, les retombées économiques ont été évaluées à plus de 5,1 millions de francs pour l’économie valaisanne.

C’est sûr, les tournages ont augmenté et surtout les demandes des productions, entre autres pour des décors. La nature est l’atout le plus facile sur lequel jouer en Valais, mais étonnamment, des décors plus urbains, industriels, ou encore des ruines, sont aussi recherchés.

Un pas vers une future Neuchâtel Film Commission
D’autres régions romandes souhaitent lancer leur commission. C’est le cas du canton de Neuchâtel. Les instances politiques de la culture et de l’économie ont été approchées par le milieu du cinéma et de l’audiovisuel, avec à sa tête Jacques Matthey, président de l’association Neuchâtel Films. À la suite de multiples échanges, un projet-pilote pour un fonds incitatif a été accepté. De quoi réjouir Max Karli, producteur pour Rita Productions, de la mini-série Placée. La coproduction RTS, en tournage actuellement, va bénéficier de cette manne.

« D’après un premier budget, je prévoyais de faire un million de dépenses dans la région neuchâteloise », chiffre Max Karli. Le producteur a finalement pu se faire rembourser 150 000 francs. C’est le montant maximum accordé par le Département de l’économie, qui a fixé à 15 % le taux de remboursement des dépenses dans l’audiovisuel et le cinéma. Une série de 6 épisodes de 45 minutes comme Placée coûte 5,5 millions, dont 3,8 millions proviennent de la RTS grâce au Pacte de l’audiovisuel conclu entre la SSR et le secteur de la création cinématographique suisse. « Il nous reste à trouver 30 % du financement », constate le cofondateur de Rita Productions.

Mettre du beau dans du drame
Qu’est-ce qui a motivé le Genevois à tourner en terre neuchâteloise ? Le soutien financier a certes pesé dans sa décision. S’y ajoutent des raisons personnelles. Son associée de Rita Productions, Pauline Gygax, est d’origine neuchâteloise. Elle souhaitait amener un tournage dans son coin de pays, où le duo n’avait jamais travaillé.

Et puis, en termes artistiques et scénaristiques, le choix de Neuchâtel faisait sens. La série aborde le drame des enfants placés. Son héroïne, jouée par Isabelle Carré, a tiré un trait sur son passé. Lequel finit par la rattraper. Elle décide de comprendre pourquoi sa mère l’a abandonnée. Les raisons sont plus complexes qu’il n’y paraît…

Drame humain et enquête policière se côtoient dans Placée. « On raconte une histoire difficile, terriblement triste. On voulait contrebalancer avec un bel écrin, une petite ville à visage humain, ensoleillée », dit Max Karli. La réalisatrice Léa Fazer relève la photogénie de l’arrière-pays. Qui sait si la série, à découvrir sur RTS 1 et Play RTS l’automne prochain, ne boostera pas le tourisme dans la région ?

« Je crois que les politiques ont désormais compris l’intérêt économique de faire venir des tournages dans la région », observe Jacques Matthey, confiant à l’idée que l’actuel projet pilote débouche sur une Neuchâtel Film Commission. Avant cela, une étude évaluera les retombées, secteur par secteur, du tournage de Placée. « De notre côté, on prépare un règlement, en nous basant sur celui du Valais, mais avec des spécificités neuchâteloises. Nous voulons être prêts quand le feu vert pour la Commission sera donné ! »

De son côté, Tristan Albrecht pointe la double utilité de la Valais Film Commission : « si on veut attirer des tournages, soyons déjà efficaces pour les servir. » La VFC se doit d’être un outil de développement régional économique qui participe au dynamisme de la création cinématographique dans le canton.

Lobbying de Munich à Rome
Le Valaisan coiffe une seconde casquette, il est coprésident de la Switzerland Film Commission (SFC), avec la Tessinoise Lisa Barzaghi. En 2021, la SFC a remplacé une association similaire devenue inactive, la Film Location Switzerland. La nouvelle structure œuvre à deux niveaux. À l’interne, elle sert notamment de faîtière aux quatre commissions régionales existantes (Valais, Zurich, Lucerne et Suisse centrale, et Tessin) et aux diverses régions membres qui désirent développer de telles structures. Sa mission : encourager d’autres organismes régionaux à se former pour pouvoir ensuite agir au niveau national et assurer l’existence à moyen terme d’un système d’incitation économique national.

L’autre volet se joue à l’externe, où il faut promouvoir la Suisse comme terre de tournage. Un patient travail de lobbying qui se pratique lors de rendez-vous majeurs de l’industrie, comme le Filmfest de Munich en juin et le Mercato Internazionale Audiovisivo (MIA) de Rome en octobre. Si la SFC ne dispose pour le moment pas de fonds incitatif, c’est un des objectifs qui figure sur sa feuille de route 2025-2028.

ENCADRÉ : La méthode belge pour attirer le financement culturel
Si vous lisez attentivement le générique des films et séries, il est écrit parfois tax shelter (réd. : littéralement abri fiscal) dans la liste des contributeurs et contributrices. De quoi s’agit-il ? Chez nos voisin·e·s belges, ce mécanisme d’immunisation fiscale permet à des sociétés privées belges ou étrangères, établies en Belgique, d’obtenir des avantages fiscaux, sous forme de réductions d’impôts et de rendements complémentaires fixés par la loi, sur le montant qu’elles investissent dans les secteurs culturels autorisés.

Quand la loi est entrée en vigueur en 2004, seul l’audiovisuel pouvait en bénéficier. Depuis, les arts de la scène (théâtre, danse, opéra) et le jeu vidéo ont été inclus. Et les entreprises investissent gros, soit 233 millions d’euros en 2024, dont 166 millions dédiés au cinéma, séries et documentaires. « C’est devenu vital pour la culture, à côté des subventions publiques », annonçait le mois dernier le quotidien belge Le Soir.

Ce financement par les sociétés privées n’est en revanche pas reproductible sous cette forme-là en Suisse. En effet, la loi sur le bénéfice des sociétés est complexe, avec des impositions à la fois au niveau fédéral, cantonal et communal. Un tel système serait donc plus compliqué à mettre en place, mais pas impossible.

Par Marie-Françoise Macchi

Paru dans le magazine Médiatic 232 (octobre 2025)