« Tiens c’est étrange, je connais cette voix, je suis sûr de l’avoir déjà entendue quelque part… » Si vous avez l’occasion de discuter avec Edgar Monnerat, cette pensée ne manquera pas de vous traverser l’esprit. Et c’est tout à fait normal puisque la voix de ce narrateur drôle et talentueux donne vie aux bandes de lancement des chaînes de télévision de la RTS.
En quoi consiste le métier de voix-off ?
Mon job au sein de l’autopromotion (ndlr : promotion des programmes RTS au moyen de publicités en bande qui annoncent les émissions) consiste à donner envie aux téléspectatrices et téléspectateurs de regarder nos programmes. Je mets ma voix au service de la chaîne, en l’adaptant au programme à promouvoir. On ne peut pas annoncer de la même manière un dessin animé ou un film qui fait peur.
Comment en êtes-vous arrivé là ?
Au tout départ, j’étais animateur et opérateur dans des radios libres à Genève. Des amis m’ont parlé d’un casting il y a de nombreuses années. Je me suis présenté et j’ai été retenu pour ma plus grande joie. J’ai la chance et le plaisir de pouvoir aujourd’hui encore moduler le son de ma voix et la mettre au service des programmes et produits de la RTS.
D’où vous est venue l’idée de jouer avec votre voix ?
Depuis toujours, j’aime la musique des mots. Gamin, j’avais tout le temps la bouche ouverte, je faisais le clown pour amuser la galerie. Malgré cela, ma carrière a d’abord pris un autre chemin : mécanicien de précision puis décorateur événementiel, spécialisé en sculpture sur polystyrène pendant six ans. En parallèle, je faisais de la radio. La publicité m’a rapidement intéressé et j’en suis venu à poser ma voix sur des pubs pour donner aux gens l’envie d’acheter des « trucs ». J’ai été gérant du magasin CityDisc à Genève puis responsable du secteur disques à « La Placette », toujours à Genève. D’une certaine manière, je continue à jouer avec ma voix pour de la promotion, bien qu’on parle de programmes TV et non plus de CDs.
Qu’est-ce qu’une bonne voix-off ?
Une bonne voix-off, c’est simplement une voix qui donne envie aux gens de regarder nos programmes.
Vous vous réécoutez beaucoup ?
J’essaie de m’écouter quand je parle mais ce n’est pas comparable à l’écoute rétrospective. Pendant un an et demi de télétravail, j’ai dû m’auto-évaluer car personne n’était là pour la prise de son et me dire si je paraissais trop guilleret ou trop sérieux par rapport au sujet. On n’est pas toujours juste, il arrive qu’on en fasse trop ou pas assez. Si nos voix sont trop graves (basses), elles risquent de se mêler avec les voix des acteurs du film. La distinction doit être claire entre voix-off et voix-in (ndlr : voix intégrée au film, celle d’un acteur par exemple).
Avez-vous fait du doublage de film ?
Oui, un peu. Mon énorme kiff, c’est le doublage de personnages de dessins animés.
Avez-vous des modèles ?
Ah! Roger Carel (ndlr: acteur de doublage français qui a prêté sa voix à de nombreux personnages Disney) c’est l’ultime dieu. Il a tout fait. Il était capable de faire plusieurs voix sur une même piste. En une seule prise, si les personnages ne se chevauchaient pas, il passait d’un personnage à l’autre avec une dextérité bluffante. D’ailleurs en parlant de bluff, il y a la nouvelle émission Tu bluffes avec Jonas Schneiter dans la grille des programmes de cet été (en voix-off). Vous voyez, je ne peux pas m’en empêcher ! (rire)
Pourquoi avoir fait le choix de rester dans l’ombre ?
J’ai fait quelques âneries sous le feu des projecteurs mais ce n’était pas indispensable. Mon métier, c’est la voix. Il y a des musiciens de studio qui enregistrent pour les autres et ne montent jamais sur scène. Je n’ai aucun problème à rester dans l’ombre.
Les autres voix-off sont-ils.elles généralement des comédien.enne.s ?
Non, pas forcément. Il me semble d’ailleurs que la RTS préfère employer des voix-off « non-comédien ».
Comment vous préparez-vous avant un enregistrement ?
J’évite de manger moins de deux heures avant une séance. C’est plus agréable pour les auditeurs. Cela évite aussi aux ingénieurs son de nettoyer tous les petits bruits insupportables comme si on avait bu un chocolat au lait tiède. J’écoute aussi ce que font les autres voix-off. C’est une forme de préparation mais sur le long terme.
Avez-vous remarqué des évolutions dans votre métier ?
Je remarque qu’il y a de plus en plus de voix-off haut perchées, linéaires, plus jeunes. Certains annonceurs tutoient leur clientèle. Je n’ai pas de problème avec ça, mais c’est un peu bizarre comme manière de s’adresser au public. Je remarque aussi une évolution des mots. Une voiture est devenue un quatre-quatre, puis un SUV ou un crossover. On enlève les articles (peut-être par style ou pour en dire un maximum en un minimum de temps…) On ne dit plus « Découvrez le nouveau SUV de la marque X » mais « Découvrez Nouveau SUV X ». Etrange non ?
Malheureusement, les gens se contentent de plus en plus de sons de mauvaise qualité. C’est souvent produit ailleurs à moindre coût. Il faut dire que le Covid a considérablement changé les choses. Certains speakers s’enregistrent chez eux. Je l’ai fait pendant le Covid, mais ce n’est pas mon job. Il existe des ingénieurs son dont le métier est de gérer l’enregistrement vocal. Chacun son travail.
Enfin, une anecdote rigolote ou emblématique de votre travail.
Qu’elles soient en allemand, en italien ou en français, la plupart des publicités sont enregistrées en Suisse allemande. Je me souviens d’une séance d’enregistrement pour une grande marque de soupes. Le texte à enregistrer disait : « Découvrez le nouveau potage plein de légumes, le plus beaucoup meilleur ». J’ai signalé à la personne qui dirigeait cet enregistrement depuis Zurich que « plus beaucoup meilleur », ce n’était pas français. Réponse (avec l’accent suisse allemand) : ce n’est pas grave, tu n’as qu’à enlever le beaucoup et juste dire que c’est le plus meilleur !
Par Maxime Ducrest
Paru dans le magazine Médiatic 225 (octobre/novembre 2023)