15.10.2013 -

«Nous ne choisissons pas nos séries en fonction de la publicité»

Gilles Marchand, directeur RTS, défend sa programmation.

Gilles Marchand, directeur général de la RTS, défend sa programmation

Article paru dans le Matin Dimanche du 13 octobre 2013, propos recueillis par Elisabeth Eckert

Un épisode de série acheté 4300 francs en prime time rapporte 50 000 francs en publicité. C’est énorme, non? Que fait la RTS de cet argent?

Je ne conteste pas du tout les tarifs de publicité de nos chaînes, ils sont d’ailleurs publics. Mais il n’existe aucun lien direct de cause à effet. La RTS, tout comme SRF (Schweizer Radio und Fernsehen) ou RSI (Radiotelevisione svizzera), ne perçoit pas directement les recettes publicitaires. Celles-ci vont à la SSR, qui les cumule avec la redevance, avant d’appliquer une clé de redistribution nationale pour chaque région. Il n’y a pas de relation directe entre la programmation des chaînes et les budgets dont elles disposent.

Comment l’argent de la pub est-il réparti entre les trois entités de la SSR? In fine, combien en retire la RTS?

La SSR applique le principe d’une clé de financement solidaire entre les régions, clairement favorable aux régions minoritaires. Ainsi la Suisse alémanique génère 70,5% des moyens de la SSR (cumul de la redevance et de la publicité) et en garde 45,6%. La RTS génère 25,3% des moyens et dispose de 32,6% des ressources. Quant à la Suisse italienne, elle contribue à hauteur de 4,2% pour recevoir 21,8%. Ce système permet à toutes les régions d’offrir des programmes de même nature et de même qualité dans toute la Suisse, indépendamment des ressources de chacune.

Traque en série

Que fait la RTS de cet argent? Des productions maison?

L’essentiel des moyens dont dispose la RTS est en effet concentré sur la production originale. Les achats (fictions en particulier) représentent moins de 10% des budgets de programme et de production. Les coûts administratifs de la RTS ont fortement diminué depuis la fusion RSR/TSR pour se situer aujourd’hui à environ 10% du budget total.

Combien coûte, à la minute, une fiction de la RTS et une minute de «Mise au Point», du «Dîner à la ferme» ou de «Temps présent»?

Une minute de fiction produite (série) en Suisse coûte entre 10 000 et 15 000 francs la minute. Ce qui est bon marché en comparaison des coûts européens. En règle générale, la RTS coproduit les fictions avec des producteurs indépendants suisses. Dès lors le coût direct pour la RTS se situe entre 8000 et 10 000 francs suisses la minute. Par comparaison, une fiction américaine coûte à la RTS environ 100 francs la minute. Les magazines de la RTS se situent, eux, entre 2000 et 3500 francs la minute.

La RTS est tout de même un gros consommateur de séries…

Nous programmons ces séries (en première diffusion et en version originale) d’une part parce que notre public les apprécie, d’autre part parce qu’elles nous permettent de fidéliser notre audience et de l’amener, en nombre, à nos rendez-vous de production originale. Le «19:30» n’arriverait pas à réunir régulièrement 60% de part de marché ou nos magazines près de 40% si le public ne restait pas fidèle tout au long de la journée et surtout de la soirée. Les séries, au-delà de leurs qualités intrinsèques, représentent une offre de programme complémentaire essentielle au succès d’audience de la RTS.

Dans vos revenus, quelle est la part de la redevance et celle des recettes commerciales?

Au total, les recettes commerciales, hors redevance, représentent environ 30% des moyens du service public. Elles sont constituées à hauteur de 25% par les recettes publicitaires, qui proviennent des spots de pub vendus par notre régie Publisuisse, et par le sponsoring. Les 5% restants proviennent d’autres recettes qui résultent notamment de la vente de nos programmes, des produits de nos boutiques (DVD et CD en particulier).

Si les programmateurs ignorent tout des recettes de pub, comment expliquez-vous que la série danoise «Borgen», par exemple, est diffusée en toute fin de soirée alors que les séries américaines sont toujours programmées en prime time?

Nous programmons «Borgen» à 23 heures, car cette très belle série divise le public plus qu’elle ne le rassemble. Or, pour tenir nos objectifs d’audience (au moins 30% de part de marché entre 18 et 23 heures), nous devons rassembler le public aux heures de grande écoute. Ces objectifs d’audience sont importants pour la légitimité de nos programmes. Un service public qui n’arriverait pas à rassembler le public lors de ses principaux rendez-vous aurait un vrai problème.

Avez-vous honte de gagner de l’argent hors de la redevance?

Nous n’avons absolument pas honte de refinancer une petite partie de notre offre de programme dans le marché. Au contraire! Mais, en TV, notre concurrence est puissante. Elle ne se situe pas en Suisse, mais en France, avec des chaînes publiques et commerciales, qui ont dix ou vingt fois plus de moyens que nous. Mais oui, c’est un sujet sensible, particulièrement dans le domaine duonline, où nos offres sont en concurrence potentielle avec celles de la presse écrite. Tous les pays qui ont, comme la Suisse, un modeste bassin de population doivent s’appuyer sur un système de financement mixte (redevance et publicité). En ce sens, tout ce qui peut nous aider à rassembler le public romand et à produire plus de contenus en Suisse est le bienvenu!

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Sévèrement accro aux séries , la RTS court au Mipcom de Cannes

Article paru dans le Matin Dimanche du 6 octobre 2013, Elisabeth Eckert

Petite équation made in RTS (Radio Télévision Suisse). Un épisode de «Castle» ou «The Mentalist» coûte 4'300 francs* à l’achat, soit 100 francs la minute. Par contre, 20 secondes de pub avant et après sa diffusion en prime time rapporte environ 60'000 francs. Qui y gagne?

Comme pour le cinéma, le Palais des festivals de Cannes va tout bientôt redéployer son tapis rouge. A première vue, la star la plus connue qui viendra présenter la nouvelle série des studios Beta Film «Cedar Cove» sera Andie MacDowell, que l’on a connue dans «Quatre mariages et un enterrement» et dans la pub anti-âge de L’Oréal. Mais qu’on ne s’y trompe pas: un seul passage de Simon Baker, alias le mentaliste, de Stana Kastic et Nathan Fillion, héros de «Castle», voire de Katherine Kelly Lang, la Brooke Logan-Forrester-Chambers-Jones-Marone de «Top Models», déclenchent une véritable émeute.

L’heure du secret

Car, avec près de 1   milliard de téléspectateurs dans le monde, les personnages des séries américaines sont – comme le furent jadis Larry Hagmann, le méchant JR de «Dallas» et Patrick Duffy, le gentil Bobby – bien plus connus que Johnny Depp ou Brad Pitt! Du 7 au 10   octobre prochains, se tiendra la 41e édition du Midcom, qui s’autodéfinit comme «le marché le plus attendu de l’année pour le monde des contenus audiovisuels et pour les acteurs incontournables de la distribution sur toutes les plates-formes».

Comme le Comptoir Suisse

Cette grand-messe du petit écran va réunir plus de 13 000 participants, 1700 sociétés productrices et surtout 4400 acheteurs issus d’une centaine de pays. Comme l’explique Alix Nicole, responsable de la programmation des fictions à laRTS , «leMipcom , pour les chaînes télévisuelles, c’est un peu comme les Arts Ménagers de Genève ou le Comptoir Suisse de Lausanne: on trouve de tout, des programmes sportifs aux émissions pour enfants, des documentaires animaliers aux séries TV»(lire ci-dessous).

Mais, si l’on y trouve de tout, pour laRTS , cesont évidemment lesséries qui rendent la présence d’une petite chaîne publique absolument indispensable à Cannes . Et pour cause: sur l’ensemble des grilles deRTS 1et deRTS 2, les feuilletons constituent près de la moitié de ses contenus, les séries américaines se taillant la part du lion avec plus de 75% des 5000 épisodes diffusés chaque année par les deux chaînes romandes. Cette année, comme à chaque fois, il s’agira d’aller discuter avec le patron de Warner Bros TV, le tout-puissant Bruce Rosenblum, et ceux de CBS Television Studio, qui, pour le premier, va, cette année, promouvoir «The Originals», une spin-off de la série «Vampire Diaries»; et pour les seconds, écouler «Cedar Cove», «l’histoire d’une juge qui cherche non seulement à rétablir l’ordre et la loi, mais veille également au bien-être de ses concitoyens»… Prioritairement, tous les acheteurs auront un œil avide pour la nouvelle sériede CBS, «Under The Dome», adaptée d’un roman de Stephen King et réalisée par Steven Spielberg. Sortie cet été aux Etats-Unis, cette série de treize épisodes s’est déjà classée en tête des audiences outre-Atlantique. «Under The Dome» relate l’histoire d’une petite ville qui, soudainement et sans explication, se retrouve coupée du monde par un immense dôme transparent. Et hop! Voici une nouvelle narration d’un vase clos, expression de notre planète qui découvre sa finitude et, peut-être, sa fin…

Au Mipcom , chaque automne, ainsi qu’à Los Angeles chaque printemps, il s’agit donc de ne rien rater. Et, dans ce registre, la RTS – qui diffuse davantage d’épisodes de «NCIS», «The Mentalist», «Esprits criminels» ou «Castle» que ses grandes concurrentes, soit, en août dernier, 71 chapitres pour la première contre 37 pour TF1 et 28 pour M6 – est sans doute l’un des diffuseurs de programmes TV les plus gourmandsau monde.

La pub aime les séries

«Du département de la fiction, nous serons quatre à nous rendre à Cannes , confie encore Alix Nicole. De Warner à CBS, de DreamWorks à Disney, nous avons des rendez-vous avec les vendeurs de contenus chaque demi-heure. » Et si laRTS estsi avide deséries , c’est que les recettes publicitaires – qui représentent 33% du 1,6   milliard de francs de chiffre d’affaires de la SSR en 2012 – explosent littéralement avant et après chaque diffusion. Qu’on en juge. Selon les chiffres que nous avons obtenus auprès de la régie publicitaire de la SSR Publisuisse, vingt secondes de pub, juste après le TJ et avant la météo de 20 heures, coûtent certes 5335 francs aux annoceurs et encore quelque 3500 à 4000 francs avant «Mise au point», «Temps présent» ou «TTC», mais s’élèvent tout de même à 2500 francs à 21 heures, lors de la diffusion de «Castle», à 1388 francs pour «The Mentalist» ou «Les Experts».

Dès lors, même à un prix d’acquisition de 100 francs la minute par épisode, une plage de pub rapportera, en moyenne, près de 50 000 francs avant la diffusion du premier épisode du soir, 25 000   à 30 000 francs à sa fin, puis, encore, 2500 francs pour le second épisode de la deuxième moitié de soirée.

Selon le magazineL’Expansion, TF1 aurait ainsi engrangé 1,6   milliard de francs de recettes publicitaires rien qu’avec «Les Experts» entre 2005 et 2010. Et M6, plus d’un demi-milliard de francs, sur la même période, avec «NCIS». Mais chut: tout cela est tabou.

LES CONCURRENTS

  • SwissTV
    La start-up genevoise propose l’achat de séries américaines, le lendemain même de leur diffusion aux Etats-Unis. Coût: 2 fr. 90 l’épisode, plus l’achat d’une box à 128 francs.
  • UPC Cablecom
    Les abonnés du numéro un helvétique du câble peuvent avoir accès aux séries américaines deux jours après leur diffusion pour 1 fr. 90 Attention: les sous-titres sont en allemand.
  • Canal+ séries
    La chaîne française vient d’élargir son bouquet aux séries américaines, chaque mardi soir, toutes sous-titrées en version française. Cette offre arrive sur Cablecom, Sunrise et SwisscomTV le 16 octobre prochain.

L’AVIS DEL’EXPERT «C’est un peu le Comptoir de la TV»

Alix Nicole, pourquoi la RTS va-t-elle à Cannes ?

Nous y allons très peu pour y faire, directement, des affaires. Contrairement à d’autres pays, dont la France par exemple où la concurrence est très vive, nous avons la chance de pouvoir prendre le temps de la réflexion pour acquérir de nouvellesséries . Mais,cela dit, leMipcom est un passage important, car c’est là que nous rencontrons les producteurs de séries TV, qui sont nos partenaires et interlocuteurs.

Le Midcom est en peu la grande foire aux séries ?

Ce festival des contenus télévisuels nous permet de nous tenir à jour, de savoir ce qui marche ou pas, de ce qui se vend et, lors de nos rendez-vous avec les dirigeants de Warner, CBS, Disney ou Fox – les plus gros producteurs de séries TV – de savoir sur quoi nos concurrents se sont positionnés.

Donc la RTS n’y va pas pour dénicher la perle rare, celle qui ne rapportera pas grand-chose, mais peut-être un chef-d’œuvre?

Il faut savoir qu’à 99%, les séries qui sont vendues au Mipcom sont déjà fraîchement diffusées dans leur pays respectifs. C’est particulièrement le cas pour les Etats-Unis. Nous savons, dès lors, à quoi ressemble la série .La RTS est, à chaque fois, présente pour prendre le pouls du succès et savoir dans quel produit elle va investir.

Les trois quarts des séries que vous diffusez sont américaines. Et les séries européennes, alors?

Devant l’engouement des téléspectateurs romands envers le phénomène « séries » et qui, nous l’observons, ne se dément pas, nos équipes se sont rendu compte que la curiosité de voir d’autres productions, danoises par exemple, est à vif. Pleine et entière. Notre public a franchement envie de découvrir de nouvelles productions, y compris et peut-être surtout les séries européennes. Nos chiffres d’audience, d’ailleurs, le prouvent.

La RTS , comme toutes les autres chaînes, font face à de nouveaux concurrents: le streaming pour Internet ou SwissTV et UPC Cablecom qui proposent depuis peu les épisodes un à deux jours seulement après leur diffusion dans leur pays…

Il est évident que nous suivons ces nouveaux acteurs et ces nouveaux moyens de diffusion avec la plus grande attention. La RTS réfléchit déjà aux réponses futures que nous pourrons y apporter et les moyens ne nous manquent pas. Mais, pour l’heure, aucun de ces nouveaux concurrents n’a amputé nos parts de marché.

* corrigé selon les indications apportées dans le Matin Dimanche du 13 octobre 2013