29.01.2013 -

Quand la SSR joue avec sa concession

Une modification des règles est à l’étude. Les diffuseurs publics sont souvent accusés de jouer avec leur mandat

Une modification des règles est à l’étude. Les diffuseurs publics sont souvent accusés de jouer avec leur mandat  

Le mandat du service public audiovisuel est à nouveau en discussion. Ces prochains jours, s’achèvera une consultation sur une modification de la concession de la SSR, traitant en particulier des activités en ligne. Entre les éditeurs privés et le groupe public, la tension ne s’atténuera pas: au début de l’année, le président des éditeurs alémaniques, Hansperter Lebrument, fustigeait à nouveau cette «marche en avant de la SSR sur Internet» qui «doit être stoppée». Certains patrons de presse envisageaient même de renoncer à publier des programmes TV. Mais le débat public – ou, régulièrement, aux Chambres – porte aussi sur d’autres aspects, et les accusations de violation de la concession ne manquent pas. Pour les comprendre, la RTS, unité de la SSR, peut-elle être prise à titre d’exemple?

Internet, la zone grise

Le Conseil fédéral a refusé à la SSR le droit de mettre de la publicité sur ses sites internet, mais il veut lui donner la possibilité de placer des contenus propres à Internet. Actuellement, la concession est relativement claire. Elle stipule que les offres en ligne incluent «des contributions liées aux programmes, présentant un lien temporel et thématique avec les émissions diffusées». Ce point est suivi de trois autres, qui, tous, associent ce qui peut être proposé aux émissions de radio ou de TV.

C’est le cœur de la controverse entre la SSR et les éditeurs, qui l’accusent d’outrepasser ses droits. Une polémique qui a cours dans plusieurs pays européens. De fait, nombre de contenus offerts actuellement, par exemple sur les plateformes de la RTS, ne semblent pas «en lien temporel et thématique avec les émissions diffusées». Quand le diffuseur offre, sur son site et par les canaux des téléphones intelligents et des tablettes, un déroulé de l’actualité en continu, il s’y trouve nombre de textes, souvent à base de dépêches d’agences, qui ne renvoient pas à un thème traité en radio ou en TV. Lorsqu’il façonne des infographies spécialement pour le Web, elles ne sont pas non plus accrochées à une émission précise.

Les responsables du service public ont toutefois anticipé certaines limites qui pourraient leur être imposées. La RTS a réduit le nombre de ses blogs, et augmente les liens vers des séquences audio ou vidéo.

Molle cohésion nationale

La concession demande que la SSR «[promeuve] la compréhension, la cohésion et l’échange entre les différentes régions du pays, les communautés linguistiques», etc. Or, les radios et surtout les TV de la SSR sont montrées du doigt lorsqu’ils s’agit de la couverture des autres régions linguistiques. Voire la maigreur souvent dénoncée de l’actualité alémanique ou tessinoise dans les émissions romandes. A ce sujet, même le Conseil fédéral, d’habitude clément envers le géant public, se montre sévère. En décembre, il publiait un rapport, nourri par des analyses de l’Université de Fribourg et du cabinet de consultants Publicom, qui chiffrait les références aux autres régions sur les chaînes SSR – selon une méthode que cette dernière a contestée. Les analystes notaient que «les programmes sont fortement axés sur leur propre région linguistique. Cette tendance est particulièrement marquée dans les programmes de télévision de la SSR en Suisse romande.» De manière générale, les experts relevaient que, «sur les chaînes de la TV publique, moins de 1% des thèmes régionaux traités concernent une autre région linguistique».

Le Conseil fédéral en a déduit que «la SSR doit prendre des mesures au niveau de ses prestations de service public, avant tout dans les comptes rendus d’information et les actualités». Avec une exigence de résultats à fin 2014. Sinon, il «se réserve le droit d’intervenir».

Voix de la Suisse affaiblie

Selon la concession, la SSR «encourage les contacts entre la Suisse et les Suisses de l’étranger» et «promeut le rayonnement de la Suisse à l’étranger». Pour la période 2013-2016, dans l’accord liant la Confédération et la SSR, le budget de Swissinfo (26 millions de francs jusqu’ici) a été amputé d’un tiers, au grand dam notamment des Suisses de l’étranger, qui dénoncent un lent repli du diffuseur national au moment ou d’autres, au contraire, investissent l’espace médiatique mondial. Quant aux étrangers en Suisse, malgré des pétitions et appels divers, ils n’ont pas pu empêcher la décision de la SSR de renoncer à World Radio Switzerland. Deux offres de reprise sont en cours d’analyse.

Programmes sur le gril

S’agissant des programmes, les chaînes de la SSR ont autant de critiques que d’auditeurs et de télé­spectateurs… Et les reproches ne peuvent pas être liés de manière directe à la concession. Parmi les politiciens les plus vigoureux, Natalie Rickli (UDC/ZH) remet même en question la place du divertissement, mentionnée par le texte de référence.

A la tête du Conseil du public de la Radio Télévision Suisse romande, l’instance qui représente les régions et la société civile auprès du diffuseur, Matthieu Béguelin résume quelques doléances souvent exprimées, jamais suivies: comme déjà évoqué, «le manque de place accordée à l’actualité suisse alémanique», mais aussi l’absence d’émissions TV consacrées au cinéma et à l’analyse des médias, ou la diffusion trop tardive de séries TV de qualité.

Article tiré du quotidien Le Temps du 29 janvier 2013
Par Nicolas Dufour

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«Un arbitrage constant entre la proximité, l’ancrage culturel et l’ouverture»

Les réponses de Gilles Marchand, directeur de la RTS

L’offre en ligne

«Cela fait plus de 10 ans que la TSR et la RSR, puis la RTS, accompagnent leurs publics sur toutes les plateformes, linéaires comme interactives, mobiles, avec succès. Car la production, particulièrement audiovisuelle, ne se définit plus par l’écran ou la distribution choisis. Le public s’affranchit de la programmation et des récepteurs, il individualise sa relation aux médias. La grande majorité de ces contenus interactifs de la RTS sont issus ou liés à des programmes de radio ou de télévision. Le télétexte, en pleine évolution lui aussi, a de nombreux adeptes en Suisse romande. L’Office fédéral de la communication examine scrupuleusement et valide à chaque fois la conformité de cette offre au mandat de la SSR.

L’univers des médias change si profondément et si rapidement qu’il est illusoire d’imaginer qu’une limitation de l’offre de la RTS contraindrait les audiences à se reporter sur les sites de la presse. Une collaboration entre producteurs de contenus suisses serait plus utile. Car la vraie concurrence n’est pas locale, mais mondiale.»

Les autres régions

«C’est un thème complexe qui exige un arbitrage constant entre la proximité, l’ancrage culturel et l’ouverture, à la Suisse comme au monde. La RTS entretient de nombreux échanges avec les autres chaînes de la SSR. Notamment dans le domaine du reportage, du sport, des documentaires et même de la fiction. On relèvera aussi, à la radio, une revue de presse alémanique quotidienne. Mais oui, il est certainement possible d’accorder plus de place encore à la réalité des autres régions linguistiques du pays et d’y intéresser les francophones suisses. Nous y travaillons, indépendamment des innombrables études plus ou moins convaincantes qui accompagnent la SSR.»

Le rayonnement

«S’il y a une conviction profondément ancrée à la RTS, c’est bien le rayonnement de la Suisse à l’étranger! Les programmes TV de la RTS voyagent dans le monde entier grâce à TV5Monde. Les œuvres de fiction, les documentaires, la création suisse dans son ensemble, disposent ainsi d’une tribune internationale précieuse. TV5Monde touche chaque jour près de 220 millions de foyers. Quant aux thèmes d’actualité suisses, ils sont en permanence relayés par les journaux TV et les magazines d’information de la RTS, eux aussi présents sur les grilles de la chaîne francophone. Ce puissant dispositif est complété par RTS.ch, dont près de 40% de l’audience (200 000 visiteurs par jour) est située à l’étranger.»

La qualité des émissions

«La qualité des programmes ne se décrète pas, et le service public n’en a certainement pas le monopole. Mais il lui accorde une attention centrale. A travers un processus permanent de suivi de la qualité, une écoute attentive des réactions du public, un effort important de formation, de nombreuses études. Les bonnes per­formances d’audience des programmes de la RTS sont un indicateur. Les points de vue du Conseil du public un autre, tout comme l’analyse des professionnels. Dans tous les cas, le débat est utile, peu de médias s’y soumettent autant que les chaînes du service public. Et c’est normal, car elles doivent honorer un mandat public.»

Article tiré du quotidien Le Temps du 29 janvier 2013
Par Nicolas Dufour